Consacrée à l’influence de Sade, l’exposition de la Kunthaus de Zurich choque par la nature des pièces présentées.Son commissaire, Tobia Bezzola, a proposé une sélection d’œuvres, du rococo aux expressionnistes allemands, dont l’érotisme est jugé parfois excessif par le public zurichois.
ZURICH - Si le peintre expressionniste allemand George Grosz considérait le roman du marquis de Sade (1740-1814) Justine ou les Malheurs de la vertu comme “le plus grand livre depuis la Bible”, et si Guillaume Apollinaire considérait Sade comme “l’esprit le plus libre qui ait jamais existé”, les partenaires de l’exposition “Sade surréaliste. Le Marquis de Sade et l’imagination érotique du Surréalisme” à la Kunsthaus de Zurich ne sont pas du même avis. “Je ne crois pas que ces sponsors savaient en quoi consistait vraiment cette exposition”, avance Tobia Bezzola, commissaire de l’événement, assisté de Stefan Zweifel et Michael Pfister, deux experts renommés de Sade et traducteurs de son œuvre en allemand. “Le but de cette manifestation n’est pas le scandale, ajoute-t-il. Nous avons tenté de traiter le sujet avec mesure.” Cependant, l’exposition a suscité de grands remous : “Certains membres de la Kunsthaus ont annulé leur adhésion et écrivent des lettres d’indignation. Nous sommes en train de publier un bulletin où nous expliquerons pourquoi nous pensions que c’était une bonne idée d’organiser cette exposition.”
Du rococo tardif au milieu du XXe siècle, les œuvres exposées témoignent aussi de l’intérêt que les surréalistes ont porté à Sade. Outre des manuscrits inédits de l’écrivain – “remplis de dessins, d’ornements et de gribouillis fantastiques et pleins d’imagination, dont le langage codé donne une idée de la censure à laquelle était confronté Sade” – figurent des portraits de Sade, dont la plupart sont signés de Charles Amédée Philipe Van Loo. À l’origine du terme “surréaliste”, Apollinaire a suscité un véritable regain d’intérêt en France pour l’œuvre du marquis libertin. Passionné par l’homme et son œuvre, il a lui-même écrit un grand nombre d’œuvres érotiques et pornographiques.
Homme de lettres ou pornographe ?
Considérée comme un sujet d’étude pour les criminologues et les pathologistes sexuels, l’œuvre de Sade a néanmoins fait l’objet d’une appréciation artistique peu après l’édition de ses livres. Ainsi, le Journal général de France notait en 1792 : “Bien que seule une imagination débauchée ait pu produire une œuvre aussi abominable, il faut admettre qu’à sa façon, c’est une œuvre riche et brillante.” Inaugurant le parcours, des tableaux de Goya, de Füssli et de Géricault illustrent ce que Tobia Bezzola appelle “l’érotisme tirant vers le mal”. L’exposition aborde ensuite des exemples de l’impact – le plus souvent tempéré – qu’a eu Sade sur les symbolistes et les “décadents” du XIXe siècle. Les expressionnistes allemands, George Grosz, Otto Dix et Rudolph Schlichter, composent la section consacrée au XXe siècle. “Le regain d’intérêt pour Sade est venu de Dada et de la Première Guerre mondiale. Il a été essentiellement perceptible en Allemagne. Ce qui attirait chez Sade, c’était son nihilisme agressif. Pour les surréalistes, c’était son esprit révolutionnaire. Puis le centre d’intérêt s’est déplacé vers son romantisme et, bien sûr, son érotisme.” Cultivant l’emblème d’une imagination débridée, certains surréalistes – Hans Bellmer, André Masson et Man Ray – ont été candidement influencés par Sade. Plus tard, des membres en marge du groupe, tels Giacometti ou Meret Oppenheim, ont intégré des traits sadiens dans leur travail. Certaines œuvres de la fin des années 1950 sont à la source de ce que Tobia Bezzola considère comme une sorte de renaissance actuelle de l’intérêt pour Sade, ce dont témoignent des artistes contemporains comme les Britanniques Jake et Dinos Chapman, ou les photographes Cindy Sherman et Nobuyoshi Araki.
- SADE SURRÉALISTE, jusqu’au 3 mars 2002, Kunsthaus, Heimplatz 1, Zurich, tél. 41 1 253 84 84, tlj sauf lundi 10h-17h
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Le marquis est de retour
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°138 du 7 décembre 2001, avec le titre suivant : Le marquis est de retour