Offerts en signe d’alliance ou jalousement conservés au fond d’une poche, boîtes, flacons et autres étuis rivalisent de raffinement. Ces chefs-d’œuvre miniature ont mobilisé toute la virtuosité des artisans de l’époque.
« J’ai du bon tabac dans ma tabatière », scandait avec insolence l’entêtante chanson du Siècle des Lumières. Un contemporain aurait pu ajouter que ladite tabatière pouvait également contenir de l’or, de la nacre, des pierres fines, de délicats émaux et même des diamants ! À la fin de l’Ancien Régime, tabatière, boite, étui, flacon et drageoir incarnent en effet la quintessence du raffinement. Et de la personnalisation aussi, à une époque où s’affirme comme jamais auparavant la notion d’individu. Ces accessoires si prisés constituaient le cadeau par excellence des grands de ce monde, et il était fréquent d’en offrir comme signe d’affection mais aussi pour souligner une alliance diplomatique. Les élites collectionnent avec frénésie ces petits objets parlants qui traduisent leur rang et leurs goûts. Ces chefs-d’œuvre de quelques centimètres carrés sont alors jalousement conservés dans l’intimité de la poche ; l’ancêtre du sac à main que les dames dissimulent sous leurs volumineuses robes. Ils sont aussi volontiers exhibés pour sacrifier aux rituels sociaux extrêmement codifiés qui ponctuent le quotidien des courtisans. Lors de leur ostension, l’auditoire jauge la préciosité des matériaux, l’originalité de la forme et l’inventivité des mécanismes.
La préciosité de ces trésors miniature, qui triomphent au moment où les métiers d’art font un tabac, est de fait proportionnellement inverse à leur taille dérisoire. Au contraire, plus l’objet est petit, plus il est admiré car cela signifie que sa réalisation relève du tour de force technique et artistique. Cet artisannat mobilise ainsi toutes sortes de corps de métiers d’art : de l’orfèvre à l’émailleur, en passant par le maître lapidaire, le peintre sur porcelaine et l’ornemaniste. L’engouement pour ces objets est tel qu’il faut en effet sans cesse rivaliser en imagination pour concevoir des modèles toujours plus chics et singuliers. Une virtuosité qui a aussi pour but d’aiguiser la collectionnite des clients fortunés. Le témoignage d’un certain Casanova nous renseigne par exemple sur la quantité d’accessoires précieux qu’une seule personne pouvait transporter sur elle. « Je visite ses poches : j’y trouve tabatière d’or, bonbonnière enrichie de perles fines, étui d’or, lorgnette superbe […] enfin je trouvais un pistolet : c’était un briquet anglais d’un acier pur et du plus beau fini ». Les monarques et grands aristocrates, membres les plus influents de ce petit théâtre des apparences, sont évidemment les plus grands commanditaires de cet artisanat qui fait le bonheur des marchands merciers qui prospèrent en grande partie grâce à ce commerce florissant. Certains clients sont même des acheteurs compulsifs à l’image du roi de Prusse, Frédéric II, qui accumule trois cents tabatières. Leur point commun ? Être toutes d’un luxe irrévérencieux ; à l’image de celle présentée actuellement à Paris, propriété de son altesse Charles III en personne, qui est un bijou à part entière avec sa constellation de diamants.
Siècle du luxe, le XVIIIe est aussi celui de l’extravagance et de la créativité. De nombreux objets traduisent cette passion pour la facétie et l’originalité. Les boîtes et accessoires de forme ludique font alors un tabac et permettent à leur propriétaire de briller en société. On imagine l’effet que produisait ce pistolet lorsqu’il était dégainé pour épater la galerie. Son mécanisme de détente, sous la crosse, ouvre en effet les pétales du canon et libère le parfum. Succès garanti !
Le succès fulgurant de la tabatière tient à la fonction de cet objet de prestige, mais aussi aux variations infinies que permet son décor. Émail, métal ciselé ou repoussé, pierres fines ou précieuses, mais aussi gravure, guillochage et même estampage comme cette boîte aux reflets irisés presque kitsch.
Typique de la production de l’orfèvre allemand Johann-Christian Neuber, cette tabatière est ornée de 120 lamelles de pierres serties dans une monture en or. Un tour de force technique pour un objet de quelques centimètres carrés. Cette mosaïque de pierres d’une rare élégance constitue par ailleurs un véritable cabinet de minéralogie portatif puisque chaque pierre est identifiée par son numéro de référence.
Bien que l’on soit encore loin de nos standards actuels, l’hygiène connaît au XVIIIe siècle un développement considérable. Les étuis contenant les nécessaires de toilette accompagnent cette évolution des mœurs. Ces coffrets aussi fonctionnels que précieux renferment tous les accessoires que les gentilshommes et élégantes utilisent dans l’intimité : ciseaux, cure-dents, cure-oreilles, ou encore limes.
Prodige de miniaturisation, cette tabatière est ornée de pas moins de 16 portraits peints sur porcelaine. Autour de Louis XVI et de son épouse sont réunis les princes et princesses de la maison de France ainsi que leurs prestigieux aïeuls. Ce chef-d’œuvre a certainement été commandé par le roi pour commémorer son accession au trône et célébrer sa lignée dynastique. Il constituait un cadeau diplomatique de premier ordre.
Âge d’or du libertinage, le XVIIIe siècle est propice aux intrigues amoureuses et à l’échange de billets doux. Quoi de plus chic que de dissimuler jalousement son courrier du cœur dans un élégant étui décoré de scènes pastorales ?
À la faveur de l’essor du commerce international, l’Europe entière succombe à l’exotisme. L’Extrême-Orient fascine et son imaginaire irrigue tous les arts, à commencer par l’univers du luxe qui adopte les matériaux les plus emblématiques d’Asie comme la porcelaine, l’écaille de tortue et la laque. Cette résine mystérieuse, mais aussi ses succédanés occidentaux, parent alors toutes sortes d’objets que les amateurs de chinoiseries s’arrachent.
Pour séduire une large clientèle, les objets de luxe s’inspirent de la peinture à la mode. La nature morte qui connaît alors son âge d’or n’échappe pas à cette tendance. Les orfèvres reconstituent ainsi de microscopiques tableaux en utilisant des matériaux inattendus. Ici, l’artisan joue sur les pierres dures de couleurs contrastées pour obtenir un effet naturaliste.
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Le luxe au XVIIIe siècle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°776 du 1 juin 2024, avec le titre suivant : Le luxe au XVIIIe siècle