Deuxième région la moins peuplée de France, le Limousin, composé de la Corrèze, de la Creuse et de la Haute-Vienne, constitue une « exception culturelle » en matière d’art le plus actuel. En voiture…
On a toujours tendance à voir le Limousin comme une région excentrée et esseulée, « rural » sonnant presque comme un gros mot. Comme si les « déserts médicaux » et la difficulté d’accès aux réseaux de communication haut débit qui affecte certaines communes prévalaient sur ce territoire. Or, s’il y a un domaine dans lequel le Limousin peut s’enorgueillir d’être l’un des plus performants de France, c’est bien celui de l’art contemporain. Son budget alloué à la culture est l’un des plus élevés, et l’ensemble des centres d’art, musées et associations est d’une belle vivacité, comme en témoigne le réseau Cinq/25, créé en 2008 pour fédérer et mieux diffuser les initiatives de dix-neuf structures professionnelles. Certes, il faut bien reconnaître un petit déséquilibre entre la Creuse et les autres départements, mais, insiste Yannick Miloux, directeur du Frac Limousin, « par rapport au nombre d’habitants, la région est l’une des mieux dotées de France en matière d’art contemporain ». Un dynamisme qui stimule et donne envie de prendre les petites routes pour tâter de cette diversité culturelle et artistique insoupçonnée.
À Meymac
C’est en Corrèze qu’on commence ce périple, à Meymac, dans l’un des piliers régionaux : l’abbaye Saint-André, devenue centre d’art en 1979 et labellisée en 1983. Ses fondateurs, Caroline Bissière et Jean-Paul Blanchet, s’y activent toujours. Ils ont décidé que les 900 m2 d’exposition seraient consacrés cet été à l’exception culturelle que constitue le… Limousin. Un peu d’autosatisfaction n’est absolument pas déplacée : productions du Craft (Centre de recherche sur les arts du feu et de la terre), de la Manufacture d’Aubusson, œuvres du Frac, du Musée de Rochechouart ou de l’Espace Paul-Rebeyrolle d’Eymoutiers mêlent photographies, porcelaines, peintures ou tapisseries.
Autour de ce noyau d’artistes nationaux et internationaux (parmi eux Patrick Tosani, Richard Fauguet, Thomas Schütte ou Joe Scanlan), les commissaires ont invité des artistes de la région. Qu’ils y soient nés ou qu’ils résident en Limousin (Julien Audebert, François Bouillon, Marinette et Henri Cueco, Olivier Masmonteil et Claude Roucard), tous apportent une tonalité particulière à cette première étape donnant l’exemple d’une décentralisation pleinement réussie.
À Vassivière
En remontant vers Limoges, les routes sinueuses de la verte région traversent le plateau de Millevaches, cher à Gilles Deleuze, pour mener jusqu’au lac artificiel de Vassivière au milieu duquel a surgi une île au début des années 1950 et un centre d’art, il y a vingt ans. Entouré d’un parc de sculptures, l’étrange bâtiment d’Aldo Rossi et de Xavier Fabre avec son phare conique est dirigé depuis mars 2012 par Marianne Lanavère, précédemment en charge de la Galerie de Noisy-le-Sec en banlieue parisienne.
C’est une directrice heureuse que l’on retrouve en Limousin. Portée par l’énergie de la région, le modèle économique social et solidaire appliqué dans les communautés alentour, les initiatives associatives, la jeune femme rencontre ici une ouverture qu’elle n’attendait pas. « Le public n’a pas d’avis préconçu, il est finalement beaucoup moins reclus qu’en région parisienne ! » Le Centre international d’art et du paysage, dont la renommée est très importante grâce au travail de fond des précédentes directions de Guy Tortosa et Chiara Parisi, aurait très bien préservé son indépendance en cultivant son insularité, et longtemps il a été perçu de la sorte.
Marianne Lanavère sait qu’elle doit encore travailler sur ce point. Mais, depuis l’an dernier, une résidence d’artistes et de chercheurs amène de l’activité tout au long de l’année sur l’île, du changement. Reste à soigner la programmation, mais ruralité ne doit pas rimer avec facilité, consensus ou populisme. D’ailleurs, l’exposition du printemps, une monographie exigeante et ultra-dépouillée de Ian Kiaer, a pu laisser circonspect. En été, la directrice joue donc davantage collectif avec des coups de cœur afin de tisser une vision subjective à travers des œuvres de Dominique Petitgand, de Reto Pulfer, d’Anne-Lise Seusse, d’Anita Molinero, de Julie Chaffort, de Mélanie Blaison, de Julien Dubuisson et de Pierre Redon. Beaucoup de découvertes y sont faites. C’est le privilège d’être à Vassivière : on tente, on s’aventure.
Ce sera aussi le temps d’ouvrir un nouveau relais de l’Artothèque du Limousin. Une institution itinérante qui a énormément fait pour présenter sur ce territoire, vaste et parfois enclavé, le meilleur de l’art contemporain. À Royère-de-Vassivière, au bord du lac, il faut donc se rendre à la poste, à la pharmacie, au garage ou encore à la trésorerie pour voir des œuvres en situation. Il s’agit de la huitième édition de « L’art en lieux », initiative qui traduit bien l’implication des habitants et des villages. La décentralisation a pris ici une dimension concrète qui donne des résultats remarquables.
À Limoges
Après les bois denses et la douceur du lac, remontons vers Limoges, capitale régionale, et son incontournable Frac qui fête ses 30 bougies avec des expositions à Solignac et Brive ainsi qu’au Musée des beaux-arts de Limoges. « Le grand tout » est orchestré par l’artiste Anita Molinero et le critique d’art Paul Bernard dans les salles voûtées du Frac. Les mille cinq cents œuvres de la collection ne sont pas toutes de sortie bien sûr, mais le tandem s’est fait plaisir avec ce grand déballage.
Et tant qu’à être à Limoges, autant faire un détour par La Vitrine, lieu associatif dont l’espace d’exposition de 200 m2 rend hommage cet été aux productions du Craft avec la cage de but de Wim Delvoye en porcelaine dorée à l’or fin, les bornes en grès sanitaire de Boris Achour et les formes hybrides de Javier Pérez. La Vitrine s’active et coproduit depuis dix ans des projets pour présenter aux Limougeauds les fruits de la jeune création.
À Rochechouart
Enfin, il faut piquer vers le Périgord, vers des reliefs et des paysages un peu moins montagnards, pour rejoindre le château impressionnant de Rochechouart. Installé depuis 1985 dans le bâtiment érigé au XVe siècle, le Musée d’art contemporain rayonne lui aussi à l’échelle hexagonale et internationale. Le Limousin a beau sembler excentré, il a réussi à attirer, avec ses institutions, pléthore d’artistes renommés. Cet été, à Rochechouart, Folkert de Jong, jeune quadra néerlandais et coqueluche de la scène contemporaine, succède à la toute première monographie extensive consacrée au printemps à l’Argentin Eduardo T. Basualdo dont L’Inverse, une production monumentale, est restée dans les salles.
La richesse du musée tient aussi à sa collection – abondamment dotée en œuvres de l’Arte povera –, présentée en permanence au fil de parcours thématiques renouvelés périodiquement (Michelangelo Pistoletto y dialogue ainsi avec Guillaume Leblon ou Douglas Gordon), ainsi qu’à une exposition tissée à partir du fonds Raoul Hausmann. Sept cents œuvres du poète « né » dadaïste, et qui trouva refuge en Limousin pendant la guerre – faut-il le rappeler, la région est une terre de résistance – jusqu’à sa mort, constituent l’autre trésor du musée dont la nouvelle directrice, Annabelle Ténèze, met à l’honneur cet été les portraits.
Pour être exhaustif, il aurait encore fallu parler des résidences et faire un crochet par les expositions de Treignac Projet, du Centre des livres d’artistes à Saint-Yrieix (six mille exemplaires tout de même qui constituent la troisième collection de France !), de ces structures formant ce réseau dense et prospectif qui fait du Limousin une terre d’accueil privilégiée pour l’art contemporain.
CINQ/25, Réseau art contemporain en Limousin, www.cinqvingtcinq.org
Meymac (19) « Limousin : l’exception culturelle », du 7 juillet au 13 octobre 2013, abbaye Saint-André, Centre d’art contemporain, place du Bûcher, www.cacmeymac.fr
Rochechouart (87) « Folkert de Jong. Une vie d’illusions », du 5 juillet au 16 septembre 2013, Musée départemental d’art contemporain, www.musee-rochechouart.com
Beaumont-du-Lac (87) « Agir dans ce paysage », du 7 juillet au 6 octobre 2013, Centre international d’art et du paysage, île de Vassivière, www.ciapiledevassiviere.com
Royère-de-Vassivière (23) « L’art en lieux », jusqu’au 30 septembre 2013, www.artothequelimousin.com
Limoges (87) « 2013 : 20 ans, rencontre avec le Craft, Lac&s et La Vitrine », 4, rue Raspail, www.lacs-lavitrine.blogspot.fr
« Le grand tout », jusqu’au 31 août 2013, Frac Limousin, Les Coopérateurs, impasse des Charentes, www.fraclimousin.fr
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Le Limousin terre d’art contemporain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°659 du 1 juillet 2013, avec le titre suivant : Le Limousin terre d’art contemporain