Au début, je n’osais pas l’aborder. Un artiste, c’est pas très courant dans une petite bourgade comme Montreuil-sur-Mer. Alors ça intimide. En plus, celui-là, c’est un sacré gaillard : grand, blond, massif, avec une barbe de prophète et un regard bien droit quand il vous serre la main. On s’attendrait à ce qu’il vous broie les doigts, mais il fait ça de façon très délicate. C’est vrai qu’il tient des pinceaux toute la journée, et vu ce qu’il fait avec, il doit s’y connaître en nuances et en délicatesse.
L’autre jour, finalement je me suis lancé. Faut dire que ça faisait déjà un paquet de fois que je le croisais avec son chevalet, parfois même la nuit, planté là, au clair de lune, comme quelqu’un qui cherche à trouver de la lumière dans les coins les plus obscurs du monde. Alors on avait fini par se dire bonjour et j’avais remarqué son accent qui m’avait rappelé celui de ces marins qu’on rencontre quand on part pour de grandes campagnes de pêche qui nous emmènent loin là-haut, en mer du Nord. Je ne me suis pas trompé, il m’a dit qu’il était norvégien ! Il m’a dit aussi qu’il s’appelait Frits et qu’il aimait beaucoup notre pays où il trouvait tout ce qui lui plaisait pour peindre. Ça m’a fait plaisir parce que j’avais bien entendu dire qu’en Normandie, maintenant, c’était courant de voir des artistes venir de Paris par le train exprès pour peindre, mais chez nous, en Pas-de-Calais, c’est plus rare. Alors quand il m’a raconté qu’il était passé par chez nous il y a deux ans, en chemin pour Venise, et qu’il n’était plus reparti, je l’ai pris en amitié. Maintenant, je viens souvent le regarder peindre et, même si je reste bien silencieux pour le laisser travailler, je repars toujours en ayant l’impression qu’il m’a confié quelques beaux secrets. La vérité, c’est qu’on se comprend, parce qu’on aime la même chose : l’eau. Moi je ne suis pas peintre, je suis pêcheur, mais je vous assure que quand je le vois peindre la Canche qui coule au pied des remparts de Montreuil, sa façon de regarder, eh bien, je la reconnait ! Parce que les pêcheurs comme les peintres savent que l’eau, c’est pas juste une grande surface plate ou agitée, sur laquelle il n’y a rien à dire. Hier encore, quand il peignait la rivière qui fait tourner nos moulins, c’était merveilleux de voir comment il lisait dans cette nappe liquide comme dans un livre qu’il connaîtrait par cœur. Chaque courant, chaque variation, les reflets, la façon dont l’eau semble se froisser au contact des piles du pont, et puis ces petits mouvements, à peine perceptibles pour qui ne connaît pas ça, qui indiquent que là, tout près de la végétation qui borde la berge, se cachent des poissons. Quand j’ai dit à Frits qu’il peignait comme un vrai pêcheur, il a ri d’un grand rire de géant, et puis il m’a regardé d’un air malicieux qui voulait juste dire : « Regarde ce que je vais faire. » En quelques coups de pinceau, tellement rapides que c’était pareil à de la magie, il a peint deux pêcheurs, la canne à la main, sur le pont le long des moulins. Je les ai tout de suite reconnus, c’était nous deux en train de discuter tout en observant l’eau qui ne cesse de couler.
Du 16 avril au 26 septembre. Musée des beaux-arts de Caen, le Château, Caen (14).
Du lundi au vendredi de 9 h 30 à 12 h 30 et de 14 h à 18 h, le week-end de 11 h à 18 h.
Tarif : 7€.
Commissaires : Frank Claustrat, Emmanuelle Delapierre, Caroline Joubert.
www.mba.caen.fr
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Le jour où… Frits Thaulow a peint Les Moulins à Montreuil-sur-Mer
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°691 du 1 juin 2016, avec le titre suivant : Le jour où… Frits Thaulow a peint Les Moulins à Montreuil-sur-Mer