Le Pavillon populaire de Montpellier lève le voile sur l’œuvre inhabituellement haute en couleur de Bernard Plossu en réunissant 240 photos inédites depuis 1956.
MONTPELLIER - Jusqu’à présent le travail en couleur de Bernard Plossu n’avait été montré que de manière parcellaire. Il a fallu la proposition de Gilles Mora à Marc Donnadieu, « de monter une exposition Plossu » au Pavillon populaire à Montpellier, dont Gilles Mora assure la direction, pour prendre la mesure de ce pan énorme de l’œuvre et de ses liens inexplorés avec la peinture, le surréalisme ou la bande dessinée ; articulations entretenues pourtant de manière concomitante avec le cinéma et ici minutieusement, finement démontrées, décortiquées.
Comme à son habitude avec Bernard Plossu, Marc Donnadieu a choisi un aspect complètement inédit de son travail. De son exploration du fonds d’images en couleur menée en dialogue avec leur auteur, le conservateur pour l’art contemporain au LaM (à Villeneuve d’Ascq) a construit une exposition en deux parties rythmées, riches en découvertes et ravissements. De la première partie consacrée aux « Still life » insoupçonnés de l’artiste et autres inédits à la seconde partie consacrée aux rapports entretenus avec le voyage, la production déplie de 1956 à aujourd’hui, et par séquences photographiques, ses narrations et son phrasé si particuliers en temps suspendus, que le tirage Fresson – procédé cher à l’artiste pour l’ensemble de son travail en couleurs – renforce.
« À l’inverse des années passées dans l’Ouest américain, où son travail en couleur a été le plus diffusé, celui qu’il a réalisé en Europe a été essentiellement présenté en noir et blanc. La couleur est restée dès lors son jardin secret, dont il n’a divulgué que quelques pépites », souligne Marc Donnadieu. Les raisons de cette rétention ? « Je n’étais pas encore prêt à les montrer », répond Bernard Plossu.
Pourtant ses images en couleur s’avèrent aussi importantes que celles en noir et blanc qui l’ont hissé parmi les grands noms de la photographie. Elles portent en elles le même regard poétique sur l’ordinaire, le même type de cadrage. Aucun ordre chronologique des prises de vue ne prévaut à ce titre dans l’exposition. Au contraire, les périodes sont mélangées de manière à montrer que la sensibilité, le regard porté aux choses de la vie, l’unité des couleurs aussi, l’atmosphère nimbée de mystères, de douceurs demeurent inchangés depuis les premières photographies. Les regards sont tendres chez Plossu. Il reste, comme le montre en deux exemples l’exposition, qu’une même photo tirée en noir et blanc n’a rien avoir en tirage Fresson. C’est une autre image.
Des images nourries par la curiosité et le voyage
« Il y a du Brassaï, du Man Ray, du Cocteau dans ses images en couleurs », relève Marc Donnadieu. « De l’Eugène Atget aussi dans la première photographie recensée de Bernard Plossu, image d’une scène de carrefour prise à Paris en 1956 au Brownie Flash offert par son père. » Il avait alors onze ans, « l’âge où l’on commence à sortir sans les parents » et en lui « l’envie de faire des photos sans raison particulière. » Scène de carrefour, de rue ou de parc, ses premières images prises au gré de déambulations en solitaire fleurent aussi l’atmosphère, le ton des livres de Modiano. « Tous les éléments de composition qui définiront sa grammaire photographique – superposition d’action, jeux de lumières, de signes, de formes, unité des couleurs – sont déjà là dans ces images ; un jeu qui relève davantage du graphisme que de la photographie », indique Marc Donnadieu.
Bernard Plossu dit avoir « appris à voir très jeune, porté, nourri par le cinéma, la bande dessinée, les livres, la peinture. » Chez lui, la photographie est une écriture continue, journalière qu’il poursuit avec « deux appareils photo, l’un chargé d’une pellicule noir et blanc, l’autre d’une pellicule couleur, un négatif couleur pouvant être aussi tiré en noir et blanc. Le choix de l’un ou de l’autre dépend de l’humeur, du réveil, de la situation… » La photographie du verre du jus d’orange qui déborde n’existe ainsi qu’en couleur. Et Bernard Plossu de préciser qu’heureusement il n’avait pas ce jour-là que du noir et blanc ! Lumineuse, magique, fragile, mystérieuse dans l’instant vécu qu’elle contient, cette image tirée pour la première fois à l’instar de nombre de photographies de l’exposition ne révèle pas un autre Bernard Plossu, mais sans doute comme le dit Gille Mora, « le dernier des pictorialistes. »
Jusqu’au 6 octobre, Pavillon populaire, espace d’art photographique de la ville de Montpellier, Esplanade Charles de Gaulle, 34000 Montpellier, tél. 04 67 66 13 46, www.montpellier.fr, tlj sauf lundi, 11h-13h, 14h-19h. Catalogue « Couleurs Plossu, séquences photographiques 1956-2013 », Marc Donnadieu, éditions Hazan, 144 pages, 24,95 €.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le jardin secret de Bernard Plossu
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°396 du 6 septembre 2013, avec le titre suivant : Le jardin secret de Bernard Plossu