Organisées par Arc en rêve-centre d’architecture à Bordeaux (en partenariat avec l’Architectur Zentrum Wien et le Netherlands Architecture Institute), les deux expositions parallèles consacrées, l’une à quatre projets de maisons de l’architecte hollandais Rem Koolhass, l’autre au travail conceptuel de son alter ego dans le domaine de l’écriture, le graphiste canadien Bruce Mau, invitent, pour qui accepte de s’y laisser prendre, à une plongée fascinante dans l’hyper-modernité architecturale de la « société du spectacle ».
BORDEAUX - Révélée depuis maintenant près de vingt ans par un ouvrage qui fit date – Delirious New York, publié en 1978 –, l’œuvre du Hollandais volant Rem Koolhass, né à Rotterdam en 1944, demeure une énigme. Des réalisations magiques, une pensée visionnaire, un art de la communication spectaculaire font de son œuvre une sorte de synthèse rêvée de l’architecture. Rem Koolhass semble avoir, à tout moment, réponse à tout, et cela fait nécessairement question. Consacrée à ses réalisations de petites dimensions – quatre maisons en tout et pour tout (d’où le titre “Living”, vivre en français) –, l’exposition est cependant organisée comme une miniature de l’œuvre complète. Introduite par une salle uniquement réservée à la présentation de son ouvrage S, M, L, XL, (small, medium, large, extra-large... exposant les projets selon leur taille), co-écrit avec Bruce Mau – dont une exposition-miroir, “Reading”, présente le travail conceptuel –, elle se termine sur un diaporama de ses œuvres en cours de réalisation. Entre ces deux extrémités, le visiteur découvre que Rem Koolhass explore le “small” et le “big” avec une égale boulimie. Maquettes de toutes dimensions réalisées à la perfection et frénésie de dessins survoltés témoignent d’un processus de travail qui entend faire, à la suite des maîtres de la première Modernité (Le Corbusier, Leonidov ou Mies van der Rohe), de l’instabilité l’élément premier de l’architecture. Développant dans ses derniers retranchements le concept de “promenade architecturale” cher à Le Corbusier – chaque maison incarnant une sorte de variation –, ses projets produisent une spatialité étourdissante mais néanmoins maîtrisée, qui peut être comprise comme une extrapolation baroque des prémisses corbuséens.
Une esthétique du “kitsch”
Mais Koolhass est un interprète d’autant plus intriguant de l’utopie moderniste qu’il en donne une version contemporaine et somme toute assez retorse. Lecteur attentif du situationniste Guy Debord, il puise son inspiration non plus, comme Le Corbusier, dans les ouvrages des ingénieurs qui ont marqué le début du siècle, mais dans le tournoiement vertigineux d’échanges et de signes de la “société du spectacle” dont fait désormais partie intégrante l’héritage de la Modernité. Reprenant le vocabulaire de celle-ci sur le mode distancié du “parodique-sérieux” cher aux situationnistes, son architecture développe, à la manière d’un Rauschenberg, une esthétique du “kitsch” à la fois vulgaire et terriblement séduisante, où l’outrance (des couleurs, toujours criardes, des dimensions, toujours excessives, des organisations spatiales, toujours paradoxales) est gage de son impact spectaculaire. Elle révèle par là la stratégie sous-jacente de Koolhass, exploitant à leur insu les mécanismes contemporains de la communication – et particulièrement celui de l’image – toujours friands d’une nouveauté “radicale”, fut-elle de toc, grâce auxquels l’architecte hollandais aura su chevaucher la roue du succès perpétuel, marchant ainsi, à trente ans d’intervalle, sur les pas de son peintre de prédilection, Andy Warhol.
OMA - REM KOOLHASS/LIVING - BRUCE MAU/READING, jusqu’au 17 mai, Arc en rêve-centre d’architecture, L’Entrepôt, 7 rue Ferrère, BorÂdeaux, tél. 05 56 52 78 36, tlj sauf lundi 12h-18h, mercredi 12h-22h. Catalogue, collection Arc en rêve-centre d’architecture/éditions Birkhäuser, à paraître fin avril.
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Le Hollandais volant
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Abonnez-vous dès 1 €Dernière réalisation en date de Rem Koolhass présentée à l’exposition, la maison d’un des couples les plus en vue de la région Sud-Ouest. Située sur les hauteurs de Bordeaux, la villa frappe d’abord par son insolence débridée, mais émeut par les conditions tragiques de son élaboration. Devenu paraplégique à la suite d’un accident de la route, peu après avoir passé commande à l’architecte hollandais, le mari avait souhaité une maison complexe, illustrant sans doute sa volonté de ne pas se soumettre à son handicap. Avec son habituel goût des paradoxes, Koolhass a commencé par démultiplier la difficulté en proposant “trois�? maisons superposées – l’une enterrée, l’autre suspendue, la dernière dans l’intervalle –, puis a sublimé le handicap de son client grâce à un ascenseur plate-forme reliant les trois niveaux.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°56 du 13 mars 1998, avec le titre suivant : Le Hollandais volant