Il y avait bien longtemps que la sculpture, souvent détrônée par les installations, n’avait eu les honneurs d’une exposition, en marge des monographies. On se souvient surtout de l’aventureuse proposition faite en 1986 par Margit Rowell au Centre Georges Pompidou avec « Qu’est-ce que la sculpture moderne ? » Questions et réponses au Carré d’art de Nîmes s’avèrent plus modestes, mais sans doute plus convaincantes. Puisant principalement dans le fonds du Musée national d’art moderne, « Sculpture » se présente comme une exposition bicéphale, bâtie par les soins de Marielle Tabart et Françoise Cohen, respectivement conservateur au Centre Georges Pompidou et directrice du Carré d’art. Au programme, une sélection éclairante de quelque soixante-quatorze œuvres suggérant une lecture possible de la sculpture du XXe siècle. Plus que tout autre, ce siècle fut celui des bouleversements et radicalismes, des glissements ou extensions des champs et moyens d’intervention de la sculpture. De la forme autonome au dispositif, de la masse au combinatoire, de l’objet au processus, de la forme à l’espace, autant de brèches et déplacements explorés, que les commissaires se sont efforcés de mettre en lumière. Ni parcours chronologique, ni tendance exhaustive, ni parti pris soulignant une option plastique exclusive, l’itinéraire donné témoigne des ruptures, traditions et trouvailles cultivées par Lipchitz, Brancusi, Richard Deacon aussi bien que Michel Blazy ou Marc Quinn. Même (immanquablement) lacunaire, même (très) subjective, la sélection propose une compilation efficace et discutable, traçant un parcours d’une remarquable fluidité et laissant chacune des pièces respirer avec une latitude tranquille. Du tendre et rugueux Nu debout exécuté en 1907 par Derain, au célèbre Mannequin, corps en mousse tête en bas, planté dans un seau en plastique bleu et agencé par Alain Séchas en 1985, l’exposition articulée en deux niveaux fait la part belle aux décisions formelles. Une première plate-forme se penche en effet sur l’idée de la forme, tandis que la seconde s’attaque à la notion d’espace. À l’intérieur même de ces concepts formels, un découpage transversal plus précis conduit sobrement le spectateur au gré des transformations opérées par la sculpture au travers du siècle. Ce dernier peine toutefois à suivre le distinguo (dont la pertinence reste à prouver) entre le volume sculptural et l’installation. Pourquoi situer Gilles Barbier dans le champ de la sculpture plutôt qu’un McCarthy ou un Kienholz, pourquoi placer le Monument à la troisième internationale de Tatline, ou Buren, ou même Absalon dans l’escarcelle de la sculpture plutôt que dans celle de l’architecture ? Pourquoi Beuys, Duchamp, dada, César sont-ils absents alors que Robert Morris, Gabriel Orozco et John Chamberlain sont présents ?
Le découpage concède néanmoins d’audacieuses cohabitions qui fonctionnent plutôt bien. L’élan vitaliste de Hans Arp partage ainsi le principe d’antiforme avec Erik Dietman et son facétieux Béret de Rodin. Non loin de Giacometti, Penone ou Barbier, De Kooning et Thomas Schütte sont réunis autour de la persistance de la figure humaine, dans un face à face hardi opposant un bronze dense, aigu et pétri, à un terrible et dérisoire géant, exhibant sa texture lisse et réfléchissante autant que ses rondeurs. La plate-forme réservée au traitement de l’espace désigne quant à elle franchement l’éclatement du volume, de la forme pleine et fermée pour dévoiler des œuvres ouvertes, souvent critiques, dessinant l’espace bien plus que la forme, et ce, dès les années 1920. On y découvre l’espace « dessiné » de Picasso ou Gonzales, les « formes-signes » de Calder, une machine de Tinguely ou encore le fameux Homme et Femme de Giacometti. À noter pour la bonne bouche, en préambule à ce second niveau et avant de pénétrer dans la salle consacrée aux constructivistes russes, l’instant magique du parcours. Il est donné par 5 Part Piece (open cubes) in form of a cross, combinaison de grands modules blancs agencés par Sol LeWitt dans les années 1960. Répondant parfaitement à l’architecture du lieu (signée Sir Norman Foster), le dispositif baigné de lumière zénithale engage le regard au-delà des pans vitrés et de la terrasse du Carré d’art, jusqu’au remarquable temple romain qu’est la Maison carrée. « Sculpture » propose finalement un joli cours d’histoire de l’art in situ, un musée miniature qui offre le plaisir sans audace mais régalant, de se trouver face à ces quelques monuments familiers de la sculpture moderne, rarement réunis pour un même œil et un même appétit, ailleurs que dans un grand musée et qui se voient ici tous deux largement contentés.
« Sculpture », NÎMES (30), Carré d’art, place de la Maison carrée, tél. 04 66 76 35 70, 6 mai-31 août.
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Le goût de la sculpture
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°549 du 1 juillet 2003, avec le titre suivant : Le goût de la sculpture