À Lyon, Bourg-en-Bresse et Rouen, trois expositions labellisées d’intérêt national rappellent l’engouement du XIXe siècle pour le Moyen Âge, qui signe ainsi le retour des cathédrales, des châteaux forts, des chevaliers et leurs princesses.
1 - La cathédrale gothique, icône allemande
À Rouen. Initié par Goethe dès la fin du XVIIIe siècle, le culte de la cathédrale gothique irrigue la pensée des artistes et intellectuels allemands tout au long du XIXe siècle. L’écrivain identifie dans cette réalisation l’incarnation d’un style typiquement germanique et une création parfaite, dans la mesure où elle réunit tous les arts au service d’un même idéal. Les peintres Carus, Schinkel et, évidemment, Friedrich l’adoptent comme motif de prédilection dans leurs paysages qui mêlent spiritualité et mysticisme de la nature à une réflexion sur l’identité nationale. Jusqu’en 1871, l’Allemagne est, en effet, une nation multiconfessionnelle, sans unité territoriale ni historique. La cathédrale qui symbolise l’unité religieuse d’avant la Réforme apparaît alors comme un monument fédérateur et un modèle pour l’avenir. Représentée dans une kyrielle d’œuvres d’art, elle inspire aussi fortement l’architecture moderne. Une fascination qui perdure jusque chez les avant-gardes du XXe siècle qui réactivent ce mythe.
2 - Victor Hugo, architecte gothique
À Rouen. Après avoir sombré dans l’oubli et le mépris pendant des siècles – le terme de gothique renvoyait de manière péjorative à l’art des Goths, un peuple nordique considéré comme non civilisé –, l’architecture gothique connaît un retour en grâce sans précédent en France au XIXe siècle. Le vandalisme révolutionnaire et le saccage de nombreux édifices insignes entraînent en effet une prise de conscience patrimoniale, alimentée également par la littérature. La parution de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo en 1832 participe ainsi largement à cet engouement. Le livre, dont l’intrigue se déroule entre les murs de la cathédrale, inspire alors durablement les artistes. Versions illustrées du roman, gravures des scènes clés et tableaux des personnages principaux abondent alors dans la production romantique. La Esmeralda de Charles Steuben s’attache ainsi à rendre la beauté de la bohémienne, tout en accordant une place de choix à la cathédrale puisque son architecture est évoquée par la forme ogivale du tableau.
3 - Le décor « à la cathédrale »
À Rouen. Le thème de l’architecture gothique, et plus particulièrement celui de la cathédrale, qui anime la peinture tout au long du XIXe siècle, a également constitué une fertile source d’inspiration pour les poètes et les musiciens, ainsi qu’un vaste réservoir de formes pour les arts décoratifs. De la chaise à la tasse en porcelaine, en passant par le papier peint, les bijoux et les pendules, le décor néogothique ou « à la cathédrale » envahit littéralement les intérieurs. Initialement cette mode est fortement marquée d’une dimension confessionnelle ; alors que le catholicisme a été proscrit par la Révolution, il connaît à partir de la Restauration un puissant regain d’intérêt. Cette mode revêt aussi un caractère politique : tandis que la monarchie reprend ses droits sur la France, afficher des formes rappelant l’Ancien Régime permet aux grandes familles aristocratiques de souligner leur légitimité dynastique. Avec la diffusion du goût pour le Moyen Âge et l’essor de la production en série, cette tendance se laïcise en même temps qu’elle se démocratise.
4 - Le chevalier héros des troubadours
À Lyon. Longtemps écarté du genre majeur de la peinture d’histoire, au profit des héros antiques et des figures mythologiques, le chevalier s’impose comme le personnage troubadour par excellence. Tandis que certaines œuvres le représentent en tant qu’allégorie des valeurs qu’il incarne – le courage, la justice et la loyauté –, certains tableaux s’inspirent des personnages les plus illustres de la geste chevaleresque. Le Tournoi de Pierre Révoil met ainsi en scène un chevalier très célèbre : Bertrand Du Guesclin, qui entra dans l’histoire en conduisant l’armée royale lors de la guerre de Cent Ans en tant que connétable de France. Ce tableau apporte, en outre, un éclairage intéressant sur la manière de travailler des troubadours ; leur souci du détail historique et leur source artistique. Ici, la composition confine presque à la reconstitution archéologique puisque le peintre puise son sujet et sa mise en page dans les manuscrits enluminés et dessine les objets d’après des originaux issus de sa collection personnelle.
5 - Les histoires d’amour finissent mal
À Lyon. Alors que le néoclassicisme exhortait la grandeur morale des personnages antiques, la peinture troubadour s’enflamme au contraire pour les destins et amours tragiques du Moyen Âge. L’enjeu n’est plus de représenter des événements majeurs mais des anecdotes, afin de renouveler la peinture d’histoire par l’approche sentimentale et intimiste. Pour les artistes, les histoires d’amour impossibles constituent une source d’inspiration intarissable : Héloïse et Abélard, Roméo et Juliette, sans oublier Tristan et Yseult ou encore la reine Guenièvre et Lancelot du Lac. L’un des thèmes récurrents est le moment de la découverte de la liaison interdite. Ingres puise ici dans l’un des textes médiévaux préférés de son temps : L’Enfer de Dante. Il illustre l’instant où Francesca da Rimini et Paolo Malatesta, le frère de son époux, découvrent leur amour réciproque et échangent leur premier et unique baiser. En effet, le mari trompé, tapi dans l’ombre à l’arrière-plan, les surprend, saisit son épée et s’apprête à les occire.
6 - Le château, théâtre de l’histoire
À Bourg-en-Bresse. Indissociable de l’imaginaire médiéval, le château occupe une place de choix dans le répertoire iconographique du roman national qui s’écrit au XIXe siècle. Monument clé du Moyen Âge, il constitue le lieu où s’incarne l’idéal chevaleresque et seigneurial. En outre, à l’image de l’univers monastique, le château fort représente symboliquement un lieu clos, secret, protégé du monde extérieur par ses tours, douves et pont-levis. Les artistes du XIXe se passionnent ainsi pour les châteaux et forteresses qui servent souvent de toile de fond à des romances contrariées mais aussi à des événements cruciaux de la grande histoire. Millin du Perreux immortalise ici la rencontre entre Jeanne d’Arc et Charles VII au château de Loches, juste après le siège d’Orléans. Si la représentation du site est réaliste, la composition se permet quelques libertés pour renforcer le caractère théâtral de cette entrevue, puisque les personnages encadrant la Pucelle et le Dauphin sortent de deux portes, alors que celle de droite est une pure invention.
7 - Le culte des ruines
À Bourg-en-Bresse. Parallèlement à l’essor des peintures de paysage glorifiant de prestigieux monuments médiévaux, se développe un goût romantique pour les édifices en ruine. Ces tableaux mettant en scène des églises et châteaux saccagés ou laissés à l’abandon traduisent autant un constat sur le vandalisme perpétré sur les édifices du Moyen Âge qu’une réflexion plus métaphysique sur la finitude de la condition humaine et l’inexorable fuite du temps. Cette dimension méditative et mélancolique se teinte parfois d’une ambiance plus sombre lorsque la scène représentée se déroule dans une crypte ou à proximité d’un tombeau. Cette tendance est héritée des Gothic Novels qui voient le jour en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle et qui exploitent le potentiel dramatique et parfois horrifique de la ruine, notamment les jeux d’ombre et de lumière et les formes spectrales ou déliquescentes. En France, ce genre ne survivra pas au romantisme, car la seconde moitié du XIXe siècle verra progressivement tous les grands monuments restaurés, mettant de fait un terme au culte des ruines.
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Le Gothic revival au XIXe
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Jusqu’au 31 août. Musée des beaux-arts de Rouen. Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10 h à 18 h. Tarifs : 9 et 6 €. Commissaires : S. Amic, S. Le Men, Dr. M. Dekiert, Dr. D. Kronenberger-Hueffer.
www.rouen-musees.fr
« L’invention du passé. Histoires de cœur et d’épée en Europe.1802-1850 »
Jusqu’au 21 juillet. Musée des beaux-arts de Lyon (69). Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10 h à 18 h. Tarifs : 9 et 6 €. Commissaires : Stephen Bann et Stéphane Paccoud.
www.mba-lyon.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°669 du 1 juin 2014, avec le titre suivant : Le Gothic revival au XIXe