Le Musée national de la marine évoque l’histoire du paquebot « France », navire d’exception dont la décoration a fait débat.
PARIS - Le mythe est resté intact. Près de quarante ans après l’arrêt de l’exploitation des lignes maritimes transatlantiques sous pavillon français (1974), l’engouement du public pour le paquebot France n’a toujours pas faibli. En 2007, l’émotion suscitée par son démantèlement l’avait déjà confirmé. Plusieurs collectionneurs n’avaient alors pas hésité à se rendre en Inde, au large des plages d’Alang, pour négocier auprès du ferrailleur chargé de sa déconstruction le rachat des derniers vestiges. Certains éléments décoratifs étaient en effet restés en place dans les cabines de ce paquebot rebaptisé entre-temps Norway puis Blue Lady.
Cinquante ans après la mise à l’eau du dernier grand paquebot français, le 11 mai 1960, en présence du couple de Gaulle, la nostalgie de l’époque de la France conquérante des « trente glorieuses » fonctionne encore à plein. Si la mise en chantier trop tardive de ce dernier navire de la French Line – les premières études ont été lancées en 1953 – lui a rendu fatale la concurrence de l’aviation commerciale, le navire de 315 mètres n’en a pas moins constitué une prouesse technologique. Le dessin de sa carène avait été soigneusement étudié pour atténuer le roulis. Ses célèbres cheminées, avec leur forme en chapeau de gendarme, avaient été conçues pour limiter les retombées de suie et de particules sur les ponts du paquebot. Technique, sécurité et luxe du confort, assortis d’un service haut de gamme, auront été les maîtres mot de la construction du France.
Exit les figures montantes
En réunissant un grand nombre d’objets collectés par des musées, des particuliers mais aussi l’association French Lines, chargée de la mise en valeur du patrimoine des compagnies maritimes françaises, l’exposition du Musée national de la marine pose clairement la question du style « France ». Après les sommets atteints dans l’entre-deux-guerres sur le Normandie, le France allait-il être, à son tour, un must en termes d’art décoratifs ? Le résultat a alimenté les débats dans les gazettes de l’époque, ravivant une vieille querelle entre anciens et modernes. Dans Arts (du 7 au 13 février 1962), le cinglant Pierre Cabanne ralliait le camp des seconds, en estimant que « l’esprit qui a présidé à l’aménagement du France est, dans son ensemble, en retard de quarante ans sur toutes les formes d’art, d’ameublement et d’esthétique actuelles ».
Les impératifs de sécurité à bord ont toutefois déterminé certains partis pris décoratifs. Ainsi du choix des matériaux : le bois, même ignifugé, est proscrit au profit de matériaux incombustibles. Formica, vinyle, tissus synthétiques, métal laqué et surtout aluminium seront ainsi rois à bord. Alors que ces matériaux nouveaux auraient pu conditionner la création d’un mobilier d’avant-garde, le conseil artistique formé par Pierre Mazars, critique au Figaro, l’architecte Guillaume Gillet et le peintre Roger Chapelain-Midy, fait appel à quarante-huit décorateurs et cent trente artistes habitués des commandes publiques. Exit donc les figures montantes de l’époque, Mathieu Matégot ou Roger Tallon, au profit des interprètes d’un néoclassicisme revisité tels que Leleu, Old, Arbus, Adnet, Royère ou Lancel. Ce dernier dessinera une commode en aluminium gainée de tissu synthétique, déclinable en fonction de la classe des cabines, qui dénote néanmoins d’un certain talent à conjuguer classicisme des formes et modernité des matériaux. Les pliants de la maison Tubauto, petits meubles à ossature tubulaire, apporteront également une touche novatrice ponctuelle. L’absence de concertation entre architectes d’intérieur et artistes chargés de concevoir les panneaux décoratifs sera toutefois préjudiciable au décor du France. C’est elle qui sera à l’origine du style hybride déconcertant de certains salons que les promoteurs du France avaient pourtant envisagé comme un symbole du « génie national ».
Commissariat : Agnès Mirambet-Paris, conservatrice du patrimoine, Musée national de la marine : Aymeric Perroy, responsable du patrimoine maritime de la Ville du Havre
Scénographie : MAW
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le « France » ou l’épilogue d’un style
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 23 octobre, Musée national de la marine, 17, place du Trocadéro, 75116 Paris, tlj sauf mardi 11h-18h, 19h les week-end, 21h30 le vendredi. Catalogue, éd. Musée national de la marine, 240 p., 39 euros, ISBN 978-2-901421-42-9.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°343 du 18 mars 2011, avec le titre suivant : Le « France » ou l’épilogue d’un style