Le Fontainebleau retrouvé du bon roi Henri IV

Par Anouchka Roggeman · L'ŒIL

Le 15 novembre 2010 - 1556 mots

Amateur de bonne chair aimant la compagnie des dames, Henri IV, rebaptisé Henri le Grand par Louis XIV, fut le roi de la réconciliation nationale. Pour la commémoration des 400 ans de sa mort, Fontainebleau rend hommage au « bon roi » bâtisseur.

Après le château de Pau, où il naquit le 13 décembre 1553, et après le château de Saint-Germain-en-Laye, où il séjourna, c’est au tour du château de Fontainebleau de célébrer le quatrième centenaire de la mort d’Henri IV. Résidence secondaire la plus prisée du roi dans la seconde partie de son règne, le château est aujourd’hui celui qui donne l’image la plus complète et la plus fidèle du bon roi Henri.
« Contrairement aux autres lieux qu’il habita, où tout a été détruit ou transformé, il n’y a qu’à Fontainebleau que le public peut encore prendre la mesure de l’art et de l’architecture sous Henri IV ainsi que du faste de sa Cour », explique Vincent Droguet, conservateur en chef au château. À travers un parcours thématique dans le château et une exposition qui regroupe toutes sortes de vestiges et de témoignages (plans, relevés, gravures, dessins, peintures, orfèvreries…), il a voulu révéler toute la richesse et la finesse d’un patrimoine qui n’est plus, et qui fut d’un raffinement trop souvent oublié. « On voit souvent Henri IV comme un personnage rustique et débonnaire, alors qu’il était en fait très soucieux de l’éclat de sa Cour et conscient de la nécessité de rétablir à travers elle l’image de la royauté. » Pendant la seconde partie de son règne (entre 1598 et 1610), marquée par la reconstruction et la pacification du royaume de France, le roi entreprend de nombreuses campagnes architecturales, y compris à Fontainebleau. Il souhaite ainsi asseoir son autorité et marquer le retour à l’ordre et à la prospérité. 

Les jardins et les fontaines, orgueil du premier des Bourbons
Premier roi de la dynastie des Bourbons, Henri IV montre dans sa politique architecturale la volonté de reprendre à son compte l’héritage des Valois et notamment celui de son illustre grand-oncle François Ier, le premier grand bâtisseur du château. Tout en terminant les travaux entrepris par les Valois, il donne au domaine une réelle envergure et initie de grands chantiers, comme en témoigne une large maquette dès l’entrée de l’exposition.
Parmi les travaux les plus importants, il donne au jardin de la Reine (actuel jardin de Diane) une physionomie radicalement différente en faisant construire autour de celui-ci trois galeries : la Volière, la galerie des Chevreuils (aujourd’hui disparues) et la galerie des Cerfs. Peu de temps après, il fait édifier une conciergerie et un jeu de paume couvert. Il réalise également des travaux spectaculaires dans l’ancienne cour du donjon (ou cour Ovale) dont il souhaite faire régulariser le tracé. Il fait reconstruire toute une partie des bâtiments afin de donner à la cour une forme de U et y adjoint deux pavillons identiques réunis par une porte monumentale, la porte du Baptistère appelée ainsi en souvenir du baptême du futur Louis XIII. Entre 1606 et 1609, une avant-cour est créée, la cour des Offices, dotée elle aussi d’une porte monumentale. Celle-ci allait devenir l’entrée principale du château pour près de deux siècles. Le tracé des jardins, qui existaient depuis François Ier, est également modifié. Dès son installation au château, le roi fait construire le jardin de l’Étang, une île artificielle dans l’étang de la cour de la Fontaine, qui sera détruite à la fin du règne de Louis XIV (on l’aperçoit sur quelques gravures de l’époque).
Grande nouveauté du règne d’Henri IV, de nombreuses fontaines viennent agrémenter les jardins. Conçues par les frères Francini, spécialistes dans l’art des fontaines et de la circulation des eaux, elles nécessitent la création d’un nouvel aqueduc. Mais à l’exception de la fontaine de Diane, aucune ne subsiste aujourd’hui. Les dessins et gravures réunis, ainsi que des objets d’art qui les ornaient (vases de bronze de Francesco Bordoni) donnent un aperçu de leur majesté.
À la fin de son règne, le roi entreprend un dernier grand chantier en faisant creuser le canal de 1 200 mètres qui allait repousser les limites du domaine jusqu’au village d’Avon et lui permettre de naviguer tranquillement avec son fils, le futur Louis XIII. 

L’activité artistique renaît à Fontainebleau avec Henri IV
Dans le domaine de la grande décoration, c’est également au château de Fontainebleau que l’on trouve encore les plus beaux vestiges et les plus grands ensembles de l’époque. Pour réaliser ces décors, le roi s’entoure d’une toute nouvelle génération d’artistes, qui deviendront les chefs de file d’un courant artistique appelé la « seconde école de Fontainebleau ». Expression française du maniérisme tardif, ce courant se caractérise notamment par une manière nordique et par l’apparition de nouveaux thèmes, dont font partie les cycles romanesques tirés du Tasse ou de romans grecs. La « première école de Fontainebleau » était née sous l’impulsion des artistes italiens invités par François Ier à Fontainebleau.
Premier peintre du roi, Toussaint Dubreuil (1558-1602) réalisa pour lui, en collaboration avec Ruggiero di Ruggieri, de vastes campagnes de décors dont il ne reste quasiment plus rien. Le tableau Hercule apprenant à tirer à l’arc (vers 1595), situé autrefois dans l’appartement de Gabrielle d’Estrées, la maîtresse du roi, est l’un des rares vestiges.
 D’origine flamande, Ambroise Dubois (1543-1614) succède à Toussaint Dubreuil. Le plus bel exemple subsistant de son travail demeure sans conteste le décor du cabinet de Théagène et Chariclée, l’actuel salon Louis XIII. Pour la plupart en place dans le salon ou évoquées par des dessins préparatoires dans l’exposition, les peintures illustrent les aventures de la fille du roi d’Éthiopie et d’un noble Thessalien. Un autre ensemble, consacré à l’histoire de Tancrède et de Clorinde, autrefois situé dans le cabinet de la reine, est en revanche entièrement démembré au xviiie siècle.
Six des huit tableaux sont toutefois réunis dans l’exposition. Ces deux ensembles donnent un aperçu éloquent du style de cet artiste qui, à l’inverse de ses prédécesseurs, favorise la clarté narrative grâce à des scènes moins surchargées et à des compositions plus aérées. On retrouve également son goût pour l’esthétique généreuse et sensuelle ainsi que l’influence nordique dans le magnifique Flore (vers 1600-1610), l’un des rares vestiges de la chambre du roi. À l’exception de quelques peintures du plafond, tout le décor de la galerie de Diane a disparu lors de la reconstruction de la galerie sous le Premier Empire et ne nous est connu que grâce à des relevés.
Dernier grand maître de l’école bellifontaine, Martin Fréminet (1567-1619) se voit confier en 1603 la réalisation des décors de la voûte de la chapelle de la Trinité, l’œuvre maîtresse de sa carrière. Marqué par son séjour en Italie, le peintre puise directement dans l’œuvre de Michel-Ange pour élaborer un art puissant et audacieux. Sa volonté de rompre avec ses prédécesseurs, l’amène à déformer excessivement les corps, à user de couleurs vives, dans un style maniériste radical. Outre ces fameux décors, une immense cheminée en marbre polychrome, réalisée par Mathieu Jacquet fait à l’époque la fierté du roi. Démonté en 1725 par le jeune Louis XV qui préfère y installer un théâtre, ce « grand retable profane » de marbre polychrome fut érigé à la gloire d’Henri IV, à l’endroit même où se tient l’exposition. 

Les signes extérieurs du faste du règne de Henri IV
Non seulement le roi sait réunir autour de lui des artistes de très grand talent dont la manière est appréciée et copiée bien au-delà des limites du château, mais il affiche, dans l’aménagement de ses résidences et dans ses cérémonies, une volonté certaine de magnificence. Récemment converti à la religion catholique, Henri IV célèbre en grande pompe le baptême de son fils et de deux de ses sœurs (Élisabeth et Chrétienne) au château de Fontainebleau. L’événement, qui a lieu dans la cour Ovale entièrement réaménagée pour l’occasion, donne lieu à un formidable déploiement de faste. En témoignent des gravures et quelques objets précieux, notamment la tapisserie à fils d’or de Coriolan qui fut tendue dans la chambre du Dauphin.
Tout grand prince se doit de collectionner pour montrer son goût et sa culture. Aussi le roi reconstitue-t-il à Fontainebleau un cabinet royal de curiosités en faisant transférer au château une grande partie du trésor des rois de Navarre. Comptant à l’origine 1 300 pièces précieuses, parmi lesquelles des objets rares, des bijoux, des miroirs, des camées, des couverts de nacre, d’or ou d’argent, des tableaux d’émail, des porcelaines de Chine, l’ensemble forme un prestigieux cabinet. Un somptueux trésor qui contribua à redonner un peu d’éclat et de lustre au règne d’Henri IV.

Biographie

Informations pratiques. « Henri IV à Fontainebleau », jusqu’au 28 février 2011. Château de Fontainebleau. Tous les jours de 9 h 30 à 17 h. Fermé mardi, 25 décembre et 1er janvier. Tarifs : de 5 à 12,50 e. www.musee-chateau-fontainebleau.fr/

Henri IV à Saint-Germain-en-Laye. Parmi toutes les manifestations organisées pour célébrer les 400 ans de la mort d’Henri IV, l’exposition au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye jusqu’au 3 janvier réunit 118 œuvres et documents issus d’établissements publics. Cet « Hommage à Henri IV, prince de paix, patron des arts » s’attarde sur son rôle politique de pacificateur et artistique de mécène. Un intérêt particulier est accordé au Château-Neuf, résidence d’Henri IV à Saint-Germain, qu’il dote d’un jardin agrémenté de bassins. www.musee-archeologienationale.fr 

Autour de l’exposition

Informations pratiques. « Henri IV à Fontainebleau », jusqu’au 28 février 2011. Château de Fontainebleau. Tous les jours de 9 h 30 à 17 h. Fermé mardi, 25 décembre et 1er janvier. Tarifs : de 5 à 12,50 e. www.musee-chateau-fontainebleau.fr

Henri IV à Saint-Germain-en-Laye. Parmi toutes les manifestations organisées pour célébrer les 400 ans de la mort d’Henri IV, l’exposition au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye jusqu’au 3 janvier réunit 118 œuvres et documents issus d’établissements publics. Cet « Hommage à Henri IV, prince de paix, patron des arts » s’attarde sur son rôle politique de pacificateur et artistique de mécène. Un intérêt particulier est accordé au Château-Neuf, résidence d’Henri IV à Saint-Germain, qu’il dote d’un jardin agrémenté de bassins. www.musee-archeologienationale.fr 

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°630 du 1 décembre 2010, avec le titre suivant : Le Fontainebleau retrouvé du bon roi Henri IV

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