Les salles Mollien du Louvre sont désormais dévolues à la présentation du fonds de dessins du musée, un des plus riches qui soit. Après les expositions « Michel-Ange » et « Lorenzo di Credi », et avant celle qui sera prochainement consacrée à Ingres, ces salles accueillent la cinquantaine de feuilles de Fragonard que possède le Louvre. Un ouvrage signé Jean-Pierre Cuzin, dans la collection « Cabinet des dessins », accompagne l’exposition.
Très complet, cet ensemble est bien représentatif de l’œuvre dessiné de Fragonard, dont il couvre toute la chronologie (à l’exception des débuts parisiens) et dont il illustre la variété des techniques et des thèmes.
Fragonard fut élève de Boucher, dont il adopta parfois la manière, puis de Van Loo à l’École des élèves protégés, et de Natoire à l’académie de France à Rome où il fut pensionnaire de 1756 à 1761. De ce premier séjour en Italie date une des plus belles feuilles du Louvre, Les Lavandières, typique « paysage de genre » où le pittoresque d’une scène populaire se mêle à la noblesse d’un site prestigieux de la campagne romaine (Tivoli). L’artiste réalise de nombreux croquis « de reportage », à Rome, Naples ou sur le chemin du retour, pour son ami l’abbé de Saint-Non, qui l’accompagne dans ses voyages, et qui projette de les inclure dans son futur ouvrage, Voyage en Italie et dans les deux Siciles.
D’un second séjour en Italie, en 1773-1774, effectué en compagnie du financier Bergeret, l’artiste ramène une véritable moisson de dessins, paysages, figures, scènes de rue, études d’après les maîtres, où l’on note un souci nouveau de réalisme (les deux Homme assis) peut-être acquis au contact des nouveaux pensionnaires de l’académie de France.
Un des aspects marquants, parce que peu connu, de l’exposition tient au nombre des études d’après les maîtres, italiens (Michel-Ange, Caravage) mais surtout flamands et hollandais (Rubens, Jordaens, Rembrandt et ses élèves). Fragonard fit un ou plusieurs voyages aux Pays-Bas entre 1765 et 1772, et
ses dessins témoignent d’une admiration fervente pour ces maîtres nordiques, dont il adopte, dans ses lavis, les grands contrastes d’ombre et de lumière. Cet art du lavis ample, transparent et profond, que Fragonard possédait au plus haut point, triomphe dans des pages telles que la grande Tête d’Oriental, qui fait songer à Tiepolo, les scènes d’intérieur « folâtres » et toujours teintées d’un érotisme allusif comme Ma chemise brûle, ou, dans un registre plus retenu, plus proche d’une réalité amoureusement observée, La Lecture, à juste titre considérée comme un de ses plus beaux chefs-d’œuvre.
Plusieurs dessins d’illustration, réalisés dans les années 1780, pour le Don Quichotte de Cervantès et surtout le Roland furieux de l’Arioste, témoignent d’une irrésistible verve narrative, qui culmine peut-être dans les dessins pour les Fables de La Fontaine, conservés quant à eux au musée du Petit Palais, et donc absents ici.
Enfin, une série de petits portraits de famille (sa femme, ses enfants, sa belle-sœur Marguerite Gérard qui deviendra sa collaboratrice, et lui-même) découpés en tondo et entrés au Louvre en 1985, illustrent le talent du portraitiste dans le seul registre qui l’intéressait, celui du portrait intime.
Contrairement à ce qui se passe pour la plupart des autres artistes, l’œuvre dessiné de Fragonard est difficilement dissociable de son œuvre peint. Car il établit une continuité, et pour ainsi dire une réciprocité évidente entre peinture et dessin. Ces derniers sont fortement picturaux – aussi bien par les effets lumineux, par taches, du lavis, que par la graphie infiniment variée, les mille façons de « toucher » le papier –, alors que de son côté la peinture est bien souvent marquée par le caractère « graphique » d’une touche débridée. Dans les deux cas, c’est la même science jubilatoire de la lumière qui transfigure l’espace et confère aux personnages leur vie bondissante ou tranquille.
« La lumière, écrit Jean-Pierre Cuzin, rien d’autre ne sert à définir le dessin de Fragonard, comme sa peinture. Son œuvre entier est tout bruissant de lumière, et les formes sont autant de forces vives que pétrit et définit cette lumière. Ces formes, elles ne sont que dynamisme, et tout procède d’une conception fleurie, ou plutôt florale, avec tout ce que cela comporte d’évolutif, d’éclatant, de généreux, de fragile, et de précaire aussi… »
« Jean-Honoré Fragonard », PARIS, musée du Louvre, Ier, aile Denon, tél. 01 40 20 50 50, 3 déc.-8 mars 2004. Cat., Louvre/5Continents, 82 p., 14 euros.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le dessin lumineux de Fragonard
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°554 du 1 janvier 2004, avec le titre suivant : Le dessin lumineux de Fragonard