PARIS
Les œuvres des peintres femmes des années 1780-1830 restent peu accrochées dans les musées. Le Musée du Luxembourg montre ce que pourrait être leur place sans cependant donner les clés pour comprendre cette sous-représentation.
Paris. De la seconde moitié du XVIIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle, nombre de femmes étaient des « peintresses » , terme employé par l’écrivaine Belle de Zuylen dans une lettre de 1802 à une amie pour désigner les femmes qui peignaient en amatrices, comme le précise Melissa Hyde dans le catalogue. Tout le projet de cette exposition est de montrer qu’entre 1780 et 1830, nombre de femmes n’étaient pas des « peintresses » mais des peintres, le plus souvent reconnues pour leur talent : un métier qu’elles avaient appris et pratiquaient de la même manière que les hommes, en développant d’intelligentes stratégies pour se faire connaître. Cela n’étonnera pas ceux qui connaissent bien la place des femmes dans la société des temps précédant et suivant la Révolution française : pour la plupart, elles travaillaient. Avant la Révolution, dans les milieux de l’artisanat d’art, où nombre d’entre elles dirigeaient des entreprises – il se trouve que le statut des peintres était favorable à l’émancipation des femmes, comme le démontre Séverine Sofio dans son livre Artistes femmes, la parenthèse enchantée, XVIIIe, XIXe siècles (CNRS Éditions, 2016).
Le discours misérabiliste sur les peintres femmes n’est donc pas de mise : celles-ci subissaient, en tant que femmes, les mêmes contraintes sociales que les mères au foyer ou les marchandes de légumes, ce que Madame Roland, dans une lettre de 1776, définissait comme « les entraves de l’opinion, les fers des préjugés ». Mais elles étaient généralement moins victimes de discrimination que le commun de leurs sœurs, puisque la plupart exerçaient leur métier au contact de l’élite financière et intellectuelle, plus éclairée. Certes, il y eut des voix pour s’émouvoir que des dames puissent accorder autant d’importance à leur métier qu’aux devoirs familiaux. Un tableau plein d’humour de Marie Nicole Vestier (1767-1846), L’Auteur à ses occupations (1793), se moque de ces préjugés. Les conservateurs reprochaient aussi aux femmes de suivre le même enseignement que les hommes – et auprès d’eux, même si leurs maîtres déclaraient à qui voulait l’entendre qu’ils ne mélangeaient pas les deux sexes dans leurs classes. Autant dire que l’on ne s’appesantissait pas sur le fait qu’elles avaient souvent bénéficié dans leur formation de l’indispensable étude du modèle masculin, vêtu quand même d’un cache-sexe. Il est vrai que nombre de ces femmes n’ont exercé toute leur vie que dans le cadre d’un atelier, petites mains d’une production signée par le maître, quand elle l’était. Elles étaient alors de simples exécutantes sous les ordres d’un patron qui était souvent un homme de la famille. Mais c’était le cas dans toutes les professions et aussi pour beaucoup d’hommes.
Que montrer dans une exposition sur les peintres femmes dans ces années-là ? La commissaire et historienne de l’art Martine Lacas a sélectionné environ 70 œuvres. Le choix de présenter une série d’autoportraits est judicieux, car les peintres femmes en exposaient souvent. Comme Séverine Sofio l’explique dans son livre : « En s’exposant ainsi en public à la fois comme des jeunes filles sûres de leurs charmes, et comme des peintres sûres de leurs talents, elles se seraient assuré des articles dans tous les journaux, car les critiques sont généralement des hommes. » L’autoportrait peut être vu comme une affiche publicitaire ; ces peintres ont en effet été des adeptes de la publication d’annonces dans la presse vantant leurs qualités de professeur de dessin ou faisant part d’une exposition.
La vie des peintres femmes dans l’atelier, leur participation au marché de l’art sont traitées dans l’exposition mais on espérait plus. D’une part, le public ne peut comprendre tous les enjeux auxquels furent confrontées les peintres femmes au cours de cette période (par exemple, la réelle discrimination dans l’accès à l’Académie de peinture) s’il ne dispose pas du catalogue. D’autre part, 70 œuvres pour évoquer toute l’étendue de leur production, c’est peu quand on sait que, selon Séverine Sofio, 22 % de la corporation des maîtres peintres parisiens étaient des femmes en 1764. Enfin, un point capital n’est pas abordé : l’effarante misogynie des historiens de l’art du XIXe siècle et jusqu’au troisième quart du XXe siècle. C’est bien à eux que l’on doit la longue occultation de ces peintres, à l’exception de Louise Élisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842). La notice d’œuvre du délicieux tableau que l’on trouve sur l’affiche de l’exposition et en couverture du catalogue suffit à le prouver : le Portrait présumé de madame Soustras laçant son chausson (1802) par Marie-Denise « Nisa » Villers (1774-1821), qui fait partie des collections du Louvre où il n’est pas présenté, n’est pas en dépôt au château de Malmaison comme on pourrait le croire (Mme Soustras était dame de compagnie de Joséphine). Donné par la famille au Louvre en 1839, il fut confié en 1879 au ministère des Postes puis à la Mairie de Juvisy (Essonne). En 1971, il est revenu au Louvre pour être envoyé au Musée international de la chaussure, ouvert cette année-là à Romans-sur-Isère (Drôme). S’il n’y avait eu un chausson dans le tableau, aucun amateur d’art n’aurait jamais eu le plaisir de l’admirer.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°569 du 11 juin 2021, avec le titre suivant : Le combat posthume des anti-peintresses