Arts du cirque

ARTS VIVANTS / VISITE GUIDÉE

Le cirque fait son théâtre au Mucem

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2025 - 820 mots

Macha Makeïeff propose un parcours sur le cirque entre histoire de l’art et anthropologie culturelle.

Marseille. ll y a exactement vingt ans, Jean Clair organisait au Grand Palais « La Grande Parade, Portrait de l’artiste en clown », une exposition directement inspirée de l’ouvrage incontournable de Jean Starobinski, Portrait de l’artiste en saltimbanque (Skira, 1970). Au cœur de cet événement se trouve le clown, cet artiste solitaire, comique et mélancolique à la fois. On y retrouve déjà le regard désabusé, voire pessimiste, que pose Jean Clair sur l’histoire de l’art à l’ère de la modernité.

Au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), il s’agit d’une présentation à mi-chemin entre l’histoire de l’art et l’anthropologie culturelle. Ici, plutôt qu’un parcours démonstratif, c’est une déambulation que l’on propose au visiteur. Visiteur ou explorateur, qui se déplace sur un terrain riche en surprises. Installation, œuvre d’art totale, capharnaüm ? L’exposition est tout cela à la fois. Rien d’étonnant, car l’on doit cette mise en scène inventive à une personnalité emblématique du théâtre pour les habitants de la ville phocéenne, Macha Makeïeff. Directrice de La Criée – Théâtre national de Marseille – de 2011 à 2022, elle développe un style ouvert en y introduisant les arts plastiques et la musique. Pour ce faire, elle fait appel à ses multiples talents et réalise souvent des costumes et des décors. Ces accessoires, exposés au Mucem, jalonnent son trajet – trop ? – personnel, ancré dans l’histoire artistique marseillaise. D’autres objets, appartenant au musée, héritage des collections de l’ancien Musée national des arts et traditions populaires, choisis par le co-commissaire Vincent Giovannoni, complètent ce bric-à-brac jouissif guidé par sentiments et émotions.

Un paysage fragmenté, où l’on trouve costumes, photographies, documents anciens, extraits de films, et qui rappelle ce moment singulier après la représentation, quand le bonheur est déjà teinté d’accents nostalgiques. Ici, plus que les saltimbanques, les véritables acteurs demeurent les objets. Ce n’est pas un simple hasard que l’exposition s’ouvre sur quelques échelles ou des composants colorés d’un manège de chevaux de bois. Ailleurs, de véritables reliques – une malle de voyage de Francesco Fratellini, des gants, des perruques… - des ready-made fatigués qui ont fait leur temps, sont des témoins modestes mais indispensables pour suivre la mémoire du cirque. Mais, s’agit-il vraiment du cirque ? Le titre le suggère explicitement. Cependant, selon Macha Makeïeff, le terme « En piste » a été choisi pour indiquer la sensation de mobilité qu’elle a voulu introduire dans le musée. Force est néanmoins de constater qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer entre les arts forains, le cabaret, le music-hall, le cinéma muet et le cirque.

Mais, sans doute, et c’est l’idée principale qui se dégage, cette absence de délimitation précise s’explique par la singularité du cirque qui, dès la fin du XIXe siècle, devient pour les créateurs un laboratoire ludique, un terrain fertile d’expérimentations plastiques. À la différence du théâtre, où le récit reste le ressort principal, le cirque se permet l’éclatement, le mélange des genres, l’hybridation. Il offre ainsi une large panoplie de mouvements et d’attitudes de personnages qui sortent de l’ordinaire ou encore d’animaux dressés comme des êtres humains. Dans ce lieu, contorsionnistes ou trapézistes évoluent librement dans le temps et dans l’espace, les corps sont modelés au gré de la fantaisie. C’est là que s’invente une esthétique de l’excès :« Excès des corps dénudés et disloqués, chargés à profusion de paillettes et de strass, excès des odeurs, celles des chevaux, des éléphants et des fauves, excès de la grimace, du maquillage et de la farce recherchée par les clowns. » (Zeev Gourarier, Le peintre et le saltimbanque, histoire d’une rencontre, Musée de la Chartreuse, Douai, 2004). En somme, un lieu où les limites entre l’art et la vie deviennent incertaines.

L’impact du cirque sur la peinture – des perspectives inhabituelles, grâce à cet espace ovale ou circulaire, des corps qui n’obéissent pas aux lois de la gravitation – est évoqué au Mucem par quelques travaux de Toulouse-Lautrec, de Chagall, de Léger ou de Degas. Mais c’est surtout son influence sur le cinéma muet qui est particulièrement mise en évidence. Comme ce dernier, le cirque a opté pour le langage du corps.

Qu’il s’agisse de Charlie Chaplin, de Buster Keaton et de Harold Lloyd, ou, plus proche de nous, de Tati, tous ils ont exercé leurs premiers pas sur les planches circassiennes.

En fin de parcours, le spectateur se dit qu’aucun endroit n’est davantage propice à s’adresser directement à l’enfant qui demeure en nous, à nous plonger dans un univers où l’émerveillement se déclenche sans aucune hésitation et où la magie et la réalité coexistent en toute quiétude. Un objet – la roulotte – rappelle toutefois la condition nomade des saltimbanques et leur place en marge de la société. C’est sans doute le prix à payer par ceux pour lesquels, comme le pense Federico Fellini, le cirque n’est pas seulement un spectacle mais une manière d’expérimenter la vie.

En piste ! Clowns, pitres et saltimbanques,
jusqu’au jusqu’au 12 mai 2025, Mucem, 1, esplanade du J4, 13002 Marseille.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°646 du 3 janvier 2025, avec le titre suivant : Le cirque fait son théâtre au Mucem

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