Le Musée Jacquemart-André retrace la chronologie du genre, de son invention par Watteau à son dernier souffle expiré par Fragonard.
PARIS - Se plonger dans l’univers de la fête galante dans le cadre de l’hôtel particulier d’Édouard André et Nélie Jacquemart a quelque chose d’une mise en abyme. Le musée du boulevard Haussmann, haut lieu du Second Empire, et les toiles signées Antoine Watteau, Nicolas Lancret ou Jean-Baptiste Pater dans la première moitié du XVIIIe siècle jouent sur la même corde sensible : une fois le visiteur happé, le temps est suspendu. Le regard se perd dans une campagne verdoyante, de laquelle rien ne transpire de la réalité d’un royaume exsangue, où gentilshommes et gentes dames s’adonnent avec délice au jeu de la séduction. Watteau, et a fortiori sa clientèle, exprimaient-ils le désir de fuir par la pensée le présent morne d’un pays rongé jusqu’à la moelle par les guerres et les folies de son Roi-Soleil ?
Consacrée à l’histoire de la fête galante, l’exposition du Musée Jacquemart-André reste à la surface de telles interrogations et se borne à suivre l’évolution du genre tout au long du XVIIIe siècle. Christoph Martin Vogtherr, directeur de la Wallace Collection à Londres et commissaire de l’exposition, rappelle cependant que la notion de galanterie, qui a fait son chemin sous le règne de Louis XIV, correspond à l’idéal d’une « force civilisatrice susceptible de contrôler les conflits sociaux et de cultiver la société, un mode de comportement qui n’était pas fondamentalement érotique, mais social dans tous ses aspects ». Ou quand l’art de la conversation et la bienséance sont capables d’élever les esprits et de désamorcer les tensions.
Dans un parcours chronologique très studieux, aux détails scénographiques aussi discrets qu’élégants, Antoine Watteau (1684-1721) se pose donc comme l’inventeur d’un nouveau genre. Héritier des conversations pastorales de la Venise du XVIe siècle et des scènes de genre hollandaises et flamandes, il modernise le cadre en incluant des personnages contemporains. Le caractère artificiel des fêtes galantes énoncé par Christoph Martin Vogtherr prend racine dans la passion du peintre pour le théâtre. Ce monde du paraître et du jeu contribue à ce sentiment que l’instant décrit par Watteau se situe en dehors de la réalité. À cette recette, ajoutez un soupçon de fantaisie pratiquée par le peintre depuis un passage chez un spécialiste de l’art du grotesque. La sélection des tableaux, parmi lesquels le délicieux Pierrot content (v. 1712-1713), prêté par Madrid, et Les Plaisirs du bal, en provenance de Londres, illustre l’alliance subtile entre légèreté des sentiments et préciosité de la touche que beaucoup tenteront d’imiter sans succès.
Vers la luxure
Son seul et unique élève, Jean-Baptiste Pater (1695-1736), poursuit la tradition en la faisant avancer d’un cran. Chez lui, la mélancolie discrète de Watteau laisse place à une érotisation du climat amoureux, en phase avec l’humeur frivole du règne de Louis XV. Nicolas Lancret (1690-1743) apporte la fougue de sa jeunesse, en instillant à ses personnages un dynamisme sans précédent. Peu à peu, les fêtes galantes descendent de leur nuage pour gagner en réalité en incluant, par exemple, des personnalités reconnues telle la Camargo, ou des lieux identifiables de la vie mondaine.
Avec François Boucher (1703-1770) et Jean Honoré Fragonard (1732-1806), les fêtes galantes se font plus fantaisistes, voire extravagantes, à grand renfort de tissus bouillonnants et de décolletés. Pour répondre au goût des collectionneurs toujours plus intéressés par la peinture décorative, la nature luxuriante prend une place prépondérante dans laquelle les personnages, centraux chez Watteau, ne sont plus qu’anecdotiques. En témoigne la splendide Fête à Saint-Cloud (v. 1775-1780), de Fragonard, d’un format tel que son décrochage des murs du salon Fragonard de l’hôtel de Toulouse, siège de la Banque de France, s’est fait à titre exceptionnel.
Commissaires généraux : Christoph Martin Vogtherr, directeur de la Wallace Collection, Londres ; Mary Tavener Holmes, historienne de l’art
Commissaire : Nicolas Sainte Fare Garnot, conservateur au Musée Jacquemart-André
Scénographie : Hubert le Gall
Jusqu’au 21 juillet, Musée Jacquemart-André, 158, bd Haussmann, 75008 Paris, tél. 01 45 62 11 59
www.musee-jacquemart-andre.com
tlj 10h-18h, 10h-20h30 le lundi et le samedi
Catalogue, Culturespaces/Fonds Mercator, 2014, 224 p., 39 €.
Légende photo
Antoine Watteau, Pierrot content, vers 1712-1713, huile sur toile, 35 x 31 cm, Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid. © Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid.
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L’aventure de la fête galante
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°411 du 11 avril 2014, avec le titre suivant : L’aventure de la fête galante