Dans le cadre d’un jumelage avec Tbilissi, le Musée des beaux-arts de Nantes invite à redécouvrir l’une des figures emblématiques de la Géorgie : Niko Pirosmanachvili, dit Pirosmani. Célèbre dans son pays pour ses représentations pleines de verve de la société caucasienne et sa personnalité bohème, cet autodidacte découvert par l’avant-garde russe se révèle, au fil de l’exposition, un peintre très original, dont les inventions plastiques rejoignaient, loin de toute théorisation, les recherches modernistes du début du siècle.
NANTES - Vu rapidement à travers quelque reproduction, Pirosmani pourrait passer pour un autodidacte doué, sans plus. L’auteur d’une peinture populaire pleine de verve, peuplée d’animaux au regard humain et de silhouettes un peu raides de cuisinier, de nourrice, de concierge, de paysan, de “beautés” ou de princes bambocheurs.
Or les 45 œuvres prêtées à Nantes par le Musée national des beaux-arts de Géorgie permettent d’aller au-delà de cette image réductrice. Rassemblés par sujets, en l’absence d’une chronologie et d’une évolution stylistique bien déterminées, les tableaux de Pirosmani retiennent l’attention. Ils possèdent une qualité synthétique et une monumentalité tout à fait étrangères à l’art naïf. L’ancien peintre d’enseignes procède par larges aplats, dans une gamme de couleurs assez réduite. Aucun cerne n’entoure ses surfaces colorées, qu’il peint directement sur des toiles cirées noires – les nappes des tavernes dans lesquelles il travaille –, gardant le fond en réserve partout où il a besoin de noir. Des yeux des personnages à leur bottes luisantes, signalées par quelques traits blancs, Pirosmani ne recourt jamais à la peinture noire. Cette démarche volontaire, qu’il poursuivra même après son abandon des toiles cirées au profit du carton, implique une virtuosité sans ostentation assez originale. Comme le souligne Claude Allemand-Cosneau, la commissaire de l’exposition, “il lui fallait une vision plastique très forte pour délimiter ainsi la forme picturale”.
Un moderne chez les primitifs
Cette technique introduit surtout un effet d’irréalité dans les scènes les plus familières. Avec sa jupe blanche, le personnage féminin des Vendanges semble flotter comme un fantôme sur le sol sombre ; le corset noir de La beauté d’Ortatchala tronçonne en deux ce double géorgien de l’Olympia, tandis que le ciel du Doukhane blanc enveloppe et découpe la calèche avec ses passagers, sans souci de la ligne d’horizon ni de la perspective, d’ailleurs inversée dans cette composition. Par ces distorsions – peut-être inspirées des fresques médiévales et des icônes de la région –, Pirosmani délaisse la représentation de l’espace tridimensionnel en faveur d’un espace décoratif qui se confond avec la surface de ses tableaux. C’est particulièrement net dans ses natures mortes, où chaque élément s’agence sans aucun respect des proportions réelles, mais cela apparaît aussi dans l’intrusion de textes au sein des compositions ou encore dans les portraits et bamboches peints d’après photographie, où le fond évoque un décor de studio.
On comprend alors que, de Mikaïl Le Dentu à Iliazd en passant par Larionov, l’avant-garde russe se soit intéressée à cet artiste populaire, dont la liberté spontanée rejoignait et cautionnait la leur, plus revendiquée. Ces relations avec le courant néo-primitiviste russe, que le catalogue décrit parfaitement, sont évoquées par la présence de deux œuvres ayant figuré dans l’exposition “La Cible”, organisée par Larionov en 1913.
PIROSMANI, jusqu’au 7 juin, Musée des beaux-arts, 10 rue Clemenceau, 44000 Nantes, tél. 02 40 41 65 65, tlj sauf mardi et jours fériés 10h-18h, vendredi 10h-21h, dimanche 11h-18h. Catalogue 128 p., 60 ill., 170 F.
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L’avant-garde de l’art populaire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°81 du 16 avril 1999, avec le titre suivant : L’avant-garde de l’art populaire