Les Archives nationales s’interrogent sur le regard porté sur les cultures extra-européennes lors des grandes Expositions universelles de 1850 à 1930.
PARIS - Par une politique d’exposition soutenue, les équipes des Archives nationales restituent au public les fruits du laborieux travail de classement et d’inventaire dont elles ont la charge. L’institution a travaillé pendant plusieurs années sur le fonds consacré aux Expositions universelles organisées par la France (ou auxquelles le pays a participé) depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’à la fin des années 1930. Quelque 6 500 cartons et registres ont ainsi été scrupuleusement étudiés avant que Christiane Demeulenaere-Douyère, conservatrice générale du patrimoine aux Archives nationales, n’opère un choix drastique pour construire un parcours représentatif de la vision portée alors sur les cultures « extra-européennes ».
Près de deux cents pièces, plans, gravures, photographies, affiches ou documents administratifs, enrichis de tableaux et sculptures, témoignent « du regard des mondes qui s’ignorent ou ne s’appréhendent qu’à travers le prisme de l’exotisme et des stéréotypes sur les “étranges étrangers” mis en scène dans des décors éphémères de carton-pâte », explique dans le catalogue Isabelle Neuschwander, conservatrice générale du patrimoine et directrice des Archives nationales. Servie par des cartels pédagogiques de qualité, la démonstration interroge le visiteur sur sa conception de l’autre et sur la manière dont de grandes manifestations, orchestrées par le pouvoir, ont pu façonner et orienter notre regard sur le monde.
Villages « nègres »
Les Expositions universelles organisées à Paris entre 1855 et 1900, puis en 1925 (arts décoratifs et industriels), 1931 (exposition coloniale) et 1937 (arts et techniques dans la vie moderne) sont évoquées au regard de manifestations similaires ayant eu lieu à Londres et Vienne, mais aussi en Argentine, Australie et aux États-Unis.
Vitrines du savoir-faire national et vecteurs d’enjeux diplomatiques, ces événements attendus donnaient l’illusion au public de voyager vers de lointaines contrées. Les scénographies spectaculaires, abusant de dioramas, panoramas et reconstitutions, se trouvaient en décalage vis-à-vis de la réalité. Ainsi des villages « nègres » que donnent à voir les photographies en noir et blanc prises lors des Exposition de 1889 ou 1931. « Parfois complaisante, voire frelatée », la découverte de l’autre se fait dans « cette ambiance de Luna Park, où le pittoresque n’est jamais absent », souligne Isabelle Neuschwander.
Celle-ci rappelle que les Expositions universelles ont, malgré tout, donné naissance à un dialogue, une amorce d’échanges, particulièrement sur le plan artistique. Et de citer la rencontre de Rodin avec les danseuses du corps de ballet royal cambodgien dont il a saisi la grâce et la délicatesse dans des aquarelles ou dessins exposés aujourd’hui. Avec subtilité, laissant le visiteur seul juge, c’est finalement aux a-priori et poncifs de notre propre société que nous sommes ici confrontés.
EXOTIQUES EXPOSITIONS, jusqu’au 28 juin, Archives nationales, hôtel de Soubise, 60, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, tlj sauf mardi et jours fériés 10h-12h30 et 14h-17h30, et uniquement l’après-midi le week-end. Catalogue, 216 p., 15 euros.
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L’autre, cet étranger
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaire : Christiane Demeulenaere-Douyère, conservatrice générale du patrimoine aux Archives nationales
Nombre d’œuvres : 200
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : L’autre, cet étranger