La Fondation de l’Hermitage exalte le rôle du groupe des XX, puis de l’association
de la Libre Esthétique, dans le développement d’un art moderne particulièrement novateur.
LAUSANNE - La Fondation de l’Hermitage, à Lausanne, en Suisse, entend rendre justice à un art belge qui s’est positionné à la pointe de l’avant-garde européenne. En témoigne le foisonnement novateur entretenu par le groupe des XX, fondé à Bruxelles en 1883 sur le principe d’un rejet de la tradition, puis par l’association de la Libre Esthétique, qui lui succède à partir de 1894. En invitant des artistes étrangers, l’exposition annuelle des XX fait de Bruxelles la caisse de résonance des révolutions qui secouent la vie artistique française. Des œuvres impressionnistes majeures de Monet, Sisley ou Degas ouvrent ainsi de nouvelles voies pour les artistes belges, qui se distinguent cependant par une plus grande liberté de facture et un chromatisme particulier. Le visiteur retiendra ainsi de la Levée des nasses (1893), d’Émile Claus, le fondateur du « luminisme belge », de vives impressions colorées servies par la lumière naturelle qui baigne les petites salles à l’atmosphère intimiste de la Fondation. Dès l’entrée de l’exposition, deux grands formats donnent le ton : Les Saules au bord de l’Escaut (sans date) de Guillaume Van Strydonck et L’Estacade d’Ostende (vers 1881), de Guillaume Vogels, offrent une parenté visuelle évidente avec le mouvement initié par Claude Monet, en dépit du dynamisme inédit que leur confèrent une facture vigoureuse et une matière épaisse. La présentation démontre une émancipation similaire des diverses voies du postimpressionnisme. Un dimanche après-midi à la Grande Jatte de Seurat, exposé aux XX en 1887, déclenche le mouvement pointilliste belge, singularisé par les couleurs spécifiques dues à la lumière du Nord, que l’on retrouve dans les peintures d’Anna Boch, à l’exemple de Dunes au soleil (vers 1903). L’influence de Gauguin et de Van Gogh est quant à elle perceptible dans La Faneuse (1891) de Henry Van de Velde.
Fécondité
Tout en reconnaissant ses limites, le parcours fait ainsi le choix d’une articulation traditionnelle autour des principaux courants de la période. Un choix qui se heurte à un mélange des genres et des styles. Les manières modernes sont, en Belgique plus qu’ailleurs, appliquées à des scènes de genre et portraits, de Georges Lemmen à Théophile Van Rysselberghe. De ce dernier, le Portrait de la violoniste Irma Sèthe (1894) offre au regard le scintillement de ses petites touches de couleurs étroitement associées. Les paysages de Vogels ou d’Ensor parviennent quant à eux à un rendu expressionniste par l’usage paradoxal des techniques impressionnistes. L’éclectisme des œuvres qui se côtoient dans la section symboliste met en exergue le côté quelque peu artificiel du regroupement. Les liens paraissent bien ténus entre les femmes mystiques de Fernand Khnopff, les allégories provocatrices de Félicien Rops comme La Dame aux bulles (sans date), ou encore La Salle à manger de Georges Le Brun (1906).
La production artistique belge fait ainsi preuve d’une fécondité qui résiste à la classification, à l’image de son représentant le plus novateur, James Ensor. Les Bouteilles (1880), dans la tradition des natures mortes hollandaises, le rendu rugueux des Toits d’Ostende (1884), ainsi que les caricatures aux formes et aux couleurs outrées, tel le Portrait d’Eugène Demolder (1893), offrent de multiples entrées. Face à cette profusion créatrice, ce plaidoyer pour la reconnaissance de la modernité belge apparaît d’autant plus fondé.
F. J.
Jusqu’au 28 mai, Fondation de l'Hermitage, 2, route du Signal, Lausanne, tél. 41 21 320 50 01, tlj sauf lundi, 10h-18h, le jeudi jusqu’à 21h. Catalogue, 166 p., coédité avec 5 Continents Éditions, 35 euros, ISBN 9-788874-393749.
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L’art moderne, version belge
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire général de l’exposition : Juliane Cosandier, assistée de Sylvie Wuhrmann - Commissaire : William Hauptman, historien de l’art - Nombre d’œuvres : 100
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°253 du 16 février 2007, avec le titre suivant : L’art moderne, version belge