\"L’art ne m’a jamais paru une activité simple et paisible. J’ai toujours eu l’impression de patauger dans le mélodrame de la vulgarité\", a dit un jour Willem de Kooning. C’est ce que confirme “Drawing seeing / seeing drawing�? (Dessiner voir/voir dessiner), au Drawing Center de New York, qui présente des dessins rarement exposés.
NEW YORK - “Si Pollock a réalisé des dessins étonnants, De Kooning est le seul des expressionnistes abstraits a en avoir fait autant, déclare Klaus Kertess, le commissaire de l’exposition qui a choisi les soixante-dix œuvres. Nous ne présentons pas un panorama complet de son œuvre graphique, mais quatre groupes de dessins. Nous nous sommes surtout intéressés à la technique, pour montrer comment ces dessins évoluent en tant que groupes”. La série des Chemise pliée sur papier de teinturier, les dessins à la fois les plus anciens et les plus abstraits de cette sélection, est un ensemble d’improvisations sur la forme d’une chemise. Ils oscillent entre des formes calligraphiques rectangulaires et des revers de col de chemise qui se transforment en une énorme paire de seins. Un autre groupe rassemble les dessins réalisés les yeux fermés. De Kooning affectionnait cet exercice qui gauchissait son talent inné de dessinateur. Il permettait aussi l’intervention du hasard dans son travail, élément que l’on retrouve chez d’autres expressionnistes abstraits.
La plupart de ces dessins représentent des femmes tracées à grands traits exubérants, où les pieds, les yeux et les parties génitales sont généralement les éléments les plus articulés. Quelques-uns sont des études pour une Crucifixion. Kertess considère cet exercice comme un “tour de force avec une seule main. Ce qui voudrait dire que pour De Kooning, dessiner c’était en fait voir. Il imaginait si parfaitement ses sensations corporelles au niveau de l’exécution qu’il pouvait ignorer la vision. Le corps habitait son esprit et permettait à la main de voir”. De Kooning se disait incapable de faire la distinction entre les dessins réalisés les yeux fermés et les autres.
Autoportraits ?
Selon Kertess, cette technique permettait aussi au peintre de se voir lui-même. Dans un groupe de dessins sur la Crucifixion exécutés les yeux ouverts – même si certains prétendent qu’il les a réalisés en regardant la télévision –, Kertess voit une ressemblance entre le Christ crucifié et De Kooning, chez qui les figures masculines sont rares. À ses yeux, il s’agit là d’autoportraits. Comme d’autres œuvres de l’exposition, les traits sont fougueusement tracés, et seules les parties génitales apparaissent nettement. Le visiteur jugera par lui-même s’il s’agit d’introspection ou de caricatures dans lesquelles l’artiste se moque de lui-même. De Kooning a cessé de dessiner dans les années 1980, lors de l’apparition des premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer. Ses grands dessins sur papier vélin, plus tardifs, sont des œuvres vigoureuses, caricaturales, des variations sur le thème paillard du peintre comme satyre, thème déjà présent dans les œuvres de Picasso des dix dernières années. Il est difficile de les dater, car De Kooning n’y a inscrit une date que lorsqu’ils sont sortis de son atelier.
L’exposition ne présente donc pas vraiment d’œuvres achevées, plutôt des dessins qui donnent un aperçu du psychisme de l’artiste. “Il luttait sans cesse contre sa facilité de dessinateur et contre l’idée d’œuvre finie”, estime Kertess. La plupart viennent du De Kooning Revocable Trust, qui gère sa succession. Moins connues que ses dessins, des sculptures seront aussi exposées à New York : le Public Art Fund présente Standing Figure (1969-1984) en un lieu proche de Central Park et Reclining Figure (1969-1982) à Bryant Park.
Jusqu’au 19 décembre, Drawing Center, 35 Wooster Street, New York, tél. 1 212 219 2166, tlj sauf dimanche et lundi 10h-18h, mercredi 10h-20h, samedi 11h-18h.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’art les yeux fermés
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°71 du 20 novembre 1998, avec le titre suivant : L’art les yeux fermés