Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le banquier Everhard Jabach avait constitué à Paris l’une des plus belles collections du temps, dont une partie avait été cédée au roi de France. Parallèlement à la publication d’une étude sur cet ensemble, le Louvre en présente quelques-unes des plus belles feuilles qu’il avait conservées ou achetées ultérieurement. De Léonard à Poussin, en passant par Carrache, cette sélection est dominée par les artistes actifs en Italie.
PARIS - En 1671, le banquier Everhard Jabach (1618-1695), pressé par des difficultés financières, vend à Louis XIV 5 542 dessins et près de 100 tableaux. Quelques années auparavant, il avait déjà cédé à la Couronne une poignée de chefs-d’œuvre des plus grands maîtres italiens, qui font aujourd’hui l’orgueil du Louvre. Les dessins que le musée parisien nous invite à découvrir ont également appartenu à Jabach, mais sont arrivés dans les collections publiques par d’autres voies. Car, après 1671, Jabach n’a pas renoncé à collectionner, et l’inventaire de ses biens, dressé en 1695 et 1696, révèle de nombreuses peintures, certes, mais surtout pas moins de 4 515 dessins. L’étude menée par Bernadette Py à partir du manuscrit a permis d’identifier, aussi bien dans les collections publiques que privées, une bonne partie de cet ensemble, qui, après sa mort, était passé dans des mains de Crozat ou Mariette. Cette enquête montre en outre que Jabach n’avait pas vendu toute sa collection au roi, et qu’il avait conservé beaucoup d’œuvres – et non des moindres –, à partir desquelles il a reconstitué un ensemble digne de ce nom. Pour cela, il a pu s’appuyer sur une fortune considérable. Héritier d’une grande famille de commerçants et de banquiers colonais, il avait, après son arrivée en France, joué un rôle important auprès de Mazarin. Plus tard, il avait été l’un des directeurs de la Compagnie des Indes orientales.
Que nous apprennent ces dessins sur le goût de celui qui fut l’un des plus grands collectionneurs européens de son temps ? Bien que l’exposition s’ouvre sur des œuvres de Poussin, les artistes français sont absents de l’exposition et faiblement représentés dans l’inventaire. Naturalisé français en 1647, Jabach a pourtant occupé la fonction éminente de directeur de la Manufacture des Gobelins, propre à le mettre en contact avec les meilleurs peintres parisiens. Par ses choix, il ne fait que suivre une tradition déjà bien établie en cette seconde moitié du XVIIe siècle, qui donne ses faveurs à l’école italienne. En l’occurrence, notre homme semble avoir été bien conseillé dans ses achats, si l’on en croit les feuilles de premier plan attribuées à Giulio Romano, Parmigianino, Giorgio Vasari, Federico Barocci ou Dominiquin. Mais sa faveur va incontestablement à Annibale Carrache, dont il possédait près de 250 dessins. Parmi les Italiens, le Louvre montre une série de Federico Zuccaro, qui, en véritable “reporter”, ramène de ses voyages le souvenir d’un lieu comme la chapelle Médicis ou celui d’un tableau, tel Vénus et le satyre de Corrège (conservé au Louvre). Ses portraits dessinés expriment peut-être avec plus d’évidence sa sensibilité de dessinateur. Fidèle à ses origines germaniques, Jabach garde une naturelle inclination pour les peintres allemands (Dürer, Lucas de Leyde) et flamands. Mais son favori, Paul Bril, à qui il attribue plus de 150 dessins, a accompli l’essentiel de sa carrière de paysagiste... en Italie.
- L’HONNEUR DE LA CURIOSITÉ. DE DÜRER À POUSSIN, DESSINS DE LA SECONDE COLLECTION JABACH, jusqu’au 15 avril, Musée du Louvre, salle de la Chapelle, 75001 Paris, tél. 01 40 20 51 51, www.louvre.fr, tlj sauf mardi 9h-17h30, mercredi 9h-21h30, catalogue par Bernadette Py, éd. RMN, coll. “Notes et documents”?, 375 p., 65 euros.
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L’art de collectionner
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°142 du 8 février 2002, avec le titre suivant : L’art de collectionner