Le Musée Tinguely, à Bâle, retrace la révolution de l’art optique et cinétique.
BÂLE (Suisse) - Le 6 avril 1955, rue La Boétie à Paris, le monde de l’art assiste à « la révolution de la seconde moitié du XXe siècle », selon le critique Roger Brodier. L’exposition « Le mouvement », à la galerie Denise René, signe alors l’acte de naissance de l’art optique et cinétique. Sa reconstitution, grâce à des prêts exceptionnels, au Musée Tinguely, à Bâle, est plus qu’un hommage à la clairvoyance d’une galeriste. À l’heure où le public redécouvre des figures oubliées, comme Bridget Riley, ou voit fleurir l’art optique sur les stands des foires, l’exposition bâloise offre une lecture inédite, qui souligne l’importance et la complexité d’un mouvement longtemps resté en marge de l’histoire de l’art.
Si les tableaux transformables de Yaacov Agam, ou les sculptures cinétiques de Pol Bury, ne se touchent plus qu’avec les yeux, et la Sculpture méta-mécanique automobile de Jean Tinguely a fini sa course, leurs retrouvailles au musée ravivent l’enthousiasme de leur première rencontre. Il est encore palpable dans le film de Pontus Hulten et Robert Breer, où Denise René et les artistes dansent la ronde au milieu de leurs œuvres, comme pour fêter l’aube d’une ère nouvelle. Ainsi l’annonce Vasarely dans son Manifeste jaune : « La chaîne majestueuse de l’image fixe sur deux dimensions se déroule de Lascaux aux abstraits…
l’avenir nous réserve le bonheur en la nouvelle beauté plastique mouvante et émouvante. » L’exposition déclare donc la « fin » – et « l’après » – de l’art abstrait. Qu’il s’opère par l’entraînement d’un moteur (Jean Tinguely), la main du spectateur (Yaacov Agam, Pol Bury, Richard Mortensen), ou le déplacement du regard sous effet d’otique (Victor Vasarely, Jesús Rafael Soto), le mouvement s’ajoute à la forme et la couleur pour redéfinir les codes de l’œuvre non-figurative. Mais l’introduction du mouvement dans l’art abstrait ne serait pas une révolution si elle n’était que rétinienne.
L’œuvre « mouvante » transgresse vertement l’héritage des maîtres modernes en substituant la composition à la combinaison de possibilités, de plus, laissée entre les mains du regardeur. Le clin d’œil amusé au père suprématiste par les Meta-Malevitch (reliefs mécaniques) de Tinguely ne doit pas cacher le meurtre du génie créateur (bientôt supplanté par la Machine à dessiner), de l’œuvre unique, et le reniement de la contemplation au profit de la participation.
Ce bouleversement ontologique procède d’un renouvellement du regard et du statut de l’œuvre dont il faut chercher les origines en amont, et en particulier, selon le commissaire de l’exposition Roland Wetzel, dans les échanges entre l’art et le cinéma depuis les années 1920. Alors, derrière un épais rideau, le tic-tac de l’œil-métronome (Objet indestructible) de Man Ray donne le tempo hypnotique aux Rotoreliefs de Duchamp et aux films d’Henri Chomette, tournés dans le vortex de la ville moderne.
La deuxième salle est une arrière-cuisine de l’art cinétique où se côtoient les films abstraits d’Oskar Fischinger, les courts-métrages dada d’Hans Richter, les photogrammes de László Moholy-Nagy, et même un volume constructiviste d’Alexandre Rodtchenko. Ce qui apparaît comme un anachronique bric-à-brac réinscrit pourtant l’art optique et cinétique dans l’histoire de l’art moderne avec une précieuse exhaustivité. Le film, support plastique à part entière, démontre ici qu’il est le point de convergence des disciplines et des diverses recherches avant-gardistes. Symbole d’un monde épris de vitesse, il est une piste privilégiée pour remonter aux origines de l’art cinétique.
LE MOUVEMEMENT, DU CINÉMA À L’ART CINÉTIQUE, jusqu’au 16 mai, Musée Tinguely, 2, Paul Sacher-Anlage, Bâle, Suisse, tél. 41 61 681 93 20, www.tinguely.ch, tlj sauf lundi 11h-19h. Catalogue, 160 p., 18 euros, ISBN 978-3-8682-8131-6
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L’art accéléré
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaire : Roland Wetzel
Nombre d’œuvres : 60
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°323 du 16 avril 2010, avec le titre suivant : L’art accéléré