Plus de trois cents objets archéologiques, dont certains chefs-d’œuvre inédits, quitteront pour la première fois le sol arménien pour être présentés au Musée Dobrée de Nantes jusqu’à l’automne. L’occasion pour les savants de ce pays longtemps fermé sur lui-même de s’exprimer librement sur la partie la moins connue de leur histoire ; l’opportunité aussi pour les spécialistes occidentaux de mieux mesurer, au sein des grandes civilisations antiques, la place de cet \" état-tampon \" entre Europe et Asie.
NANTES - Organiser une exposition avec la toute jeune République d’Arménie est une entreprise audacieuse. Jusqu’en septembre 1991, date à laquelle ce pays coincé entre l’Iran, l’Azerbaïdjan et la Turquie échappait à la férule soviétique, il était quasiment impossible pour les archéologues occidentaux de travailler sur le sol arménien.
Certes, une mémorable exposition s’est tenue en 1970 au Musée des arts décoratifs, à Paris, mais rares ont été les occasions, au cours des vingt-cinq dernières années, de revoir ces objets confinés dans les réserves poussiéreuses de leurs musées d’origine. Si les publications en russe ou en arménien étanchaient quelque peu la soif des archéologues occidentaux, la prudence restait cependant de mise. Aux thèses des savants soviétiques s’opposait le discours nationaliste de leurs confrères arméniens…
C’est donc à la faveur d’une rencontre émouvante, celle d’un pharmacien de Loire-Atlantique ayant participé à une mission humanitaire dans la ville de Leninakan, tragiquement touchée par le séisme du 7 décembre 1988, et d’un conservateur de musée ayant tout perdu dans la catastrophe, qu’est né cet ambitieux projet : faire quitter pour la première fois le sol arménien à plus de trois cents objets, dont certains inédits dans leur propre pays ! Le musée Dobrée de Nantes (à qui l’on doit déjà une remarquable exposition sur les "Trésors des Étrusques") était tout naturellement choisi, et Jacques Santrot, le conservateur, se rendait dès 1993 sur les lieux. En dépit des grandes difficultés matérielles rencontrées sur place (on vit toujours là-bas dans les séquelles du tremblement de terre ; les savants manquent de tout, d’encre, de papier, d’électricité, quand ils ne meurent pas de froid comme ce directeur de l’Archéologie que Jacques Santrot n’a pu rencontrer qu’une seule fois…), de fructueux contacts ont pu se nouer avec les principaux musées, dont ceux d’Erevan, de Gumri (l’ex-Leninakan), de Sardarapat et d’Erébouni.
Les bronzes du royaume d’Ourartou
Parallèlement, en France, un comité international composé d’archéologues français, américains, russes, allemands et italiens se mettait en place, et d’importants emprunts au Louvre, au British Museum et à la Bibliothèque nationale étaient sollicités en vue de dresser ce panorama de l’Arménie antique, des origines jusqu’à l’avènement du christianisme comme religion officielle, au IVe siècle de notre ère.
Que verra-t-on à Nantes ? Des obsidiennes remontant au Paléolithique (500 000 ans av. J-C.), d’émouvantes figurines en terre cuite du Bronze ancien (idoles féminines à la tête bizarrement tronquée, taureau au front perforé…), les magnifiques gobelets d’or et d’argent du trésor de Kharachamb, dont le décor symbolique ne cesse d’intriguer (XXIIe s. av. J.-C.), ou encore ces énigmatiques têtes masculines en tuf coiffées d’une tiare. Mais le clou de l’exposition sera incontestablement les bronzes du puissant royaume d’Ourartou (VIIIe-VIIe s. av. J.-C.) – casques, ceintures, carquois, plaques votives – dont l’époustouflante virtuosité annonce les plus belles cornes-rhytons en argent de la période achéménide. La petite statue de marbre d’Aphrodite-Astrik résume, quant à elle, le rayonnement des influences hellénistiques dans un pays où des acteurs grecs jouaient encore, au Ier siècle avant notre ère, des pièces célèbres d’Euripide…
L’exposition nantaise trouvera son prolongement naturel dans celle que la Bibliothèque nationale, à Paris, consacrera durant l’été au panorama de l’histoire arménienne, du IVe au XVIIIe siècle. À l’heure où l’Arménie s’apprête à célébrer le 1700e anniversaire de son adoption du christianisme comme religion d’état, de somptueux manuscrits à peintures illustreront ainsi les racines les plus lointaines de ce pays qui, selon la tradition biblique, aurait recueilli l’arche de Noé…
L’ARMÉNIE, CARREFOUR DES CIVILISATIONS, Bibliothèque nationale, Paris, du 18 juin au 22 octobre 1996.
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L’Arménie antique enfin au grand jour
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Abonnez-vous dès 1 €ARMÉNIE, DES ORIGINES AU IVe SIÈCLE APRÈS J.-C., du 23 mars au 15 septembre. Musée Dobrée, Nantes. Tous les jours, sauf le lundi et jours fériés, de 10h à 12h et de 13h30 à 17h30. Tél : 40 71 03 50
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°23 du 1 mars 1996, avec le titre suivant : L’Arménie antique enfin au grand jour