Art contemporain

Expositions

L’apartheid toujours au cœur des préoccupations des artistes

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 14 avril 2017 - 573 mots

La Fondation Vuitton, à Paris, dresse un panorama passionnant de la création contemporaine en Afrique de Sud, et de ses enjeux.

En 2002, Suzanne Pagé, membre du jury de la 11e Documenta, rencontre Okwui Enwezor, curateur de la manifestation. Quelques années plus tard, ce fin connaisseur de la scène contemporaine africaine compte parmi les interlocuteurs que la directrice artistique de la Fondation Vuitton a naturellement consultés pour concevoir « Art/Afrique, le nouvel atelier ». L’événement réunit deux expositions : « Les initiés », un choix d’œuvres de la collection d’art contemporain africain de Jean Pigozzi et « Être là », focus sur les artistes d’Afrique du Sud. Ce parti pris géographique a été dicté par le choix « de circonscrire et d’approfondir une scène précise », expliquent en ouverture du catalogue Suzanne Pagé et la commissaire d’exposition Angeline Scherf.

« My Joburg », l’exposition organisée par La Maison rouge en 2013, a également nourri la réflexion de Suzanne Pagé : « On ne fait jamais rien seul. » « Être là » se concentre plus particulièrement sur les artistes sud-africains qui vivent et travaillent dans leur pays. Dix-sept d’entre eux ont été retenus pour une sélection embrassant trois générations, des pionniers confirmés aux étoiles montantes.

De Kentridge et Goldblatt aux « born free »
Les photographies de David Goldblatt servent de point de départ, parmi lesquelles sa série Student Protests témoignant des récentes manifestations nées sur le campus de Cape Town pour réclamer le retrait de la statue de Cecil John Rhodes, emblématique de la colonisation. Depuis 2012, l’artiste est revenu au noir et blanc, car, pour lui, « il est difficile d’être en colère en couleurs ». David Koloane, autre figure tutélaire, expérimente quant à lui pour la première fois la vidéo : Takeover (2015), conte cruel à la bande-son anxiogène, joue sur la figure ambivalente des chiens, tour à tour prédateurs et victimes.

Quand Jane Alexander opte, avec ses sculptures mi-hommes mi-bêtes, pour le registre fantastique, Sue Williamson, elle, continue à « utiliser des méthodes journalistiques pour faire de l’art », confrontant dans It’s a Pleasure to Meet You (2016) les témoignages de descendants de victimes de l’apartheid. Jugement suspendu et transcendance de la forme poétique chez William Kentridge qui, avec la triple projection Notes Towards a Model Opera mêle les références historiques pour mieux interroger la notion de révolution. De la génération née dans les années 1970, l’exposition retient le travail très médiatisé, entre art et activisme, de Zanele Muholi, les installations métaphoriques de Nicholas Hlobo et celles, elliptiques, de Moshekwa Langa.

Quant aux enfants des années 1980, ils n’en ont pas fini avec leur passé immédiat. Références pop et plongée dans l’histoire coloniale (Kudzanai Chiurai), afrofuturisme kitsch (Athi-Patra Ruga), rapport au corps et à la tradition vernaculaire (Buhlebezwe Siwani), autoportrait collectif (Thenjiwe Niki Nkosi), œuvres à messages (Lawrence Lemaoana, voir p. 120), dystopie numérique (Simunye Summit 2010, de Bogosi Sekhukhuni)… Moins explicites, les peintures et installations en forme de rébus de Kemang Wa Lehulere sont elles aussi nourries de références au système dans lequel il a grandi, même s’il refuse d’y être assigné : « Je rejette l’idée d’une identité sud-africaine », déclarait-il en décembre dernier au New York Times.

Les « born free », enfin, nés après la fin de l’apartheid (1994), sont au centre de la section documentaire dans laquelle figure Musa N. Nxumalo, qui a été formé au Market Photo Workshop, l’école de photographie fondée en 1986 par David Goldblatt. Ses images de fêtes dans les townships jouent sur l’idée même de cliché, dans un noir et blanc intemporel qui fait le lien entre hier et aujourd’hui.

« Art/Afrique, le nouvel atelier »

Jusqu’au 28 août 2017. Fondation Louis Vuitton, 8, avenue du Mahatma-Gandhi, Bois de Boulogne, Paris-16e. Ouvert en semaine de 12 h à 19 h, jusqu’à 21 h le vendredi, et de 11 h à 20 h le week-end. Fermé le mardi. Tarifs : 14 et 10 €. Commissaire général : Suzanne Pagé. www.fondationlouisvuitton.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°701 du 1 mai 2017, avec le titre suivant : L’apartheid toujours au cœur des préoccupations des artistes

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