Gérard de Lairesse est représentatif des peintres du XVIIe qui ont su marier peinture flamande et courant classique, et produire une peinture très séductrice...
Entre 1622 et 1625, Rubens, appelé par Marie de Médicis reine de France, séjourne à Paris pour la réalisation des décors du palais du Luxembourg. À l’époque, des dizaines d’artistes flamands résident à Paris. L’influence de cette colonie sur l’école française est capitale. Mais, à partir des années 1630, les artistes français prennent l’habitude d’aller en Italie. Le Grand Tour régénère l’école française en faisant éclore le classicisme français initié par Le Sueur ou Poussin. Au rayonnement venu des Flandres succède ainsi une identité picturale proprement française qui va, en retour, influencer les Flandres via les provinces belges et la principauté de Liège.
Une bacchanale sans Bacchus
L’école liégeoise comporte à cette époque trois peintres importants : Gérard Douffet, Bertholet Flemalle et Gérard de Lairesse. Les deux premiers séjournent à plusieurs reprises à Paris pour se perfectionner, mais travaillent à Liège. Lairesse y demeure jusqu’en 1665, puis part s’établir aux Pays-Bas où il diffuse le style classique. La Fête de Vénus, peinte à Amsterdam, montre comment, par le courant classique, la peinture liégeoise a influencé la peinture des Pays-Bas.
C’est une bacchanale pendant une scène d’offrandes, un sujet déjà traité. Lairesse en propose une version plus rigoureuse, sans Bacchus, dieu du vin et des débordements. Il lui préfère une divinité plus sage, Vénus, déesse de la beauté. Poussin, « chef » du courant classique, a traité de nombreuses bacchanales, notamment pour le château de Richelieu en Poitou. Lairesse a beaucoup étudié les estampes de Poussin à qui il voue un culte. On l’appelle d’ailleurs « le Poussin hollandais ». Ces scènes font allusion à l’Antiquité, mais les histoires mythologiques ne sont pas neutres : elles sont souvent prétextes pour les artistes à délivrer des messages plus contemporains.
La bacchanale, c’est l’hymne au vin, à l’ivresse, aux sens débridés, au plaisir de la chair. Pour Lairesse ce thème a une connotation personnelle très forte. À l’apogée de son renom, il a du succès auprès des femmes, « les belles lui font bien des avances ». Il avait dû quitter Liège pour Utrecht après s’être battu avec deux femmes à qui il avait promis le mariage. Pourtant, le portrait que Rembrandt a réalisé de lui en 1665 montre un personnage au visage difforme dont les scientifiques diront plus tard qu’il souffrait de syphilis héréditaire.
Description de l'oeuvre :
Gérard de Lairesse, La Fête de Vénus, vers 1667-1670, huile sur toile, 143 x 191,5 cm, collection Albert Vandervelden.
1/ Vénus - Une représentation oblique
Les peintres de la Renaissance et de la période baroque célèbrent la beauté féminine au nom de Vénus. Pour être la déesse de la beauté, elle préside aussi aux plaisirs de l’amour. Lairesse comme son maître Poussin propose ici une libre interprétation des conventions mythologiques. Elle apparaît de manière insolite par rapport à la tradition contemporaine qui montre le plus souvent Vénus nue en train de se parer ou s’admirer dans un miroir, souvent accompagnée de Cupidon. Elle se présente ici en Vénus antique, debout entre deux colonnes d’un temple dédié à sa gloire, le visage empreint de gravité. Elle est vêtue comme d’une longue tunique couvrante appelée peplos. On devine sur sa tête et dans sa main l’un de ses attributs, la rose.
La structure de la scène est proche de la pratique maniériste qui consiste à placer au premier plan un personnage secondaire par rapport à celui illustrant la scène principale qui prend généralement place dans le fond de la scène.
2/ La Bacchante - Du vice à la vertu
Éclairée par une lumière directionnelle qui vient d’en haut à gauche, la bacchante concentre les regards. Elle est gracieuse et sage, loin des emportements charnels des compositions baroques de Rubens et des délires orgiaques de ses bacchanales. L’art selon Lairesse procède davantage « de la raison et du jugement ». La partie supérieure de son corps dévêtu montre des éclats lumineux de peau, mais sa pose est retenue, d’une sensualité indirecte. Elle est entourée d’un groupe de nymphes qui tiennent dans leurs mains les instruments de la fête, formant autour d’elle une guirlande musicale qui rythme la scène. Le tableau s’impose par l’élégance classique des formes, l’accord des couleurs argentées et violacées, presque métalliques, particulièrement appréciées chez Lairesse. L’organisation spatiale de la composition forme une diagonale qui dirige le spectateur de la bacchante vers Vénus. L’enchaînement combiné du corps des putti et des bras des nymphes, forme le lien entre les deux. Entre le vice et la vertu, en quelque sorte.
3/ Le ciel ouvert - Une tradition flamande
La partie gauche du tableau comporte une sorte de trouée à ciel ouvert. Plusieurs nymphes s’avancent vers le premier plan, l’une d’elles tient une trompette, une autre serre dans un pan de sa jupe des fleurs qu’elle vient de cueillir et qu’elle destine probablement à l’élaboration d’une guirlande. Le traitement de cette partie de la scène est proche du « sfumato » italien – inventé par les Flamands – qui donne aux sujets des contours vaporeux, imprécis et apporte à la composition une impression de profondeur. Par opposition, la partie droite du tableau semble se dérouler dans un profond sous-bois. La nature y est dense, le rendu de la végétation précis et d’une belle homogénéité tonale. Elle s’inscrit parfaitement dans la tradition du paysage naturaliste flamand du XVIe siècle.
4/ La nature morte - Un message moralisateur
Les mains de la bacchante dirigent le spectateur vers une superbe nature morte formée par un vase de fleurs, une corbeille et une lyre. Au début du XVIIe siècle, les Flandres et la Hollande développent le goût de la nature morte et la transforment en véritable genre de peinture. Le bouquet de fleurs disposées dans le luxueux vase sculpté rappelle la préciosité et la magnificence de la nature morte flamande de cette période. Au sol, le peintre a placé des pétales fanés tombés d’une fleur de pavot. La composition fonctionne comme un memento mori (« N’oublie pas que tu mourras »), un message moralisateur concernant la brièveté de la vie humaine, en l’occurrence la beauté éphémère. Un message que la bacchante, en détournant le regard, semble vouloir ignorer.
1594
Couronnement d’Henri IV qui engage de nombreux artistes flamands.
Début du XVIe siècle
Le bourg de Saint-Germain-des-Prés accueille une communauté de peintres flamands qui développent les genres dits « mineurs ».
1625
Rubens achève le cycle de La Vie de Marie de Médicis pour le palais du Luxembourg.
1637
Portrait du cardinal Richelieu par Philippe de Champaigne, peintre d’origine flamande.
Années 1640
Les œuvres aux sujets antiques d’Eustache Le Sueur et de Laurent de La Hyre marquent le début d’un classicisme français.
1640
Nicolas Poussin, qui a majoritairement vécu à Rome, est nommé premier peintre du roi et devient un modèle de classicisme en France.
1661-1715
Le règne de Louis XIV est marqué par le rayonnement du style français, notamment à Liège.
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Lairesse - La Fête de Vénus
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« Rubens, Poussin et les peintres du xviie siècle », jusqu’au 24 janvier 2011. Musée Jacquemart-André. Paris viiie. Tous les jours de 10 h à 18 h, le lundi jusqu’à 21 h 30. Tarifs : de 8,5 e à 10 euros. www.musee-jacquemart-andre.com
Les femmes dans la peinture flamande
Le musée départemental de Flandre a ouvert ses portes à Cassel avec « Sensualité et volupté », exposition consacrée au corps féminin dans la peinture flamande des XVIe et XVIIe siècles. Comme dans Le Bain de Diane de Rubens présenté chez Jacquemart-André, les œuvres de Rubens ou Jordaens témoignent d’une nouvelle représentation de la beauté féminine. www.museedeflandre.cg59.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°629 du 1 novembre 2010, avec le titre suivant : Lairesse - La Fête de Vénus