Au Guggenheim Museum, la jeune génération de créateurs africains se joue des clichés et innove avec énergie et humour, non sans un certain sens du militantisme.
BILBAO - C’est le genre d’exposition à apprécier avant tout pour sa fraîcheur. Réunissant 120 artistes et designers actuels et recouvrant une large palette de domaines créatifs – mobilier, objet, artisanat, architecture, urbanisme, mode, graphisme, photographie, cinéma… –, « Making Africa », présentée au Guggenheim Museum de Bilbao, se propose de « jeter une nouvelle lumière sur l’Afrique en illustrant comment le design accompagne et stimule les métamorphoses d’ordre politique, économique, social, culturel et technologique que vit ce continent ». Le parcours est copieux. Sont exhibées, en préambule, les délirantes lunettes-sculptures du Kenyan Cyrus Kabiru (« C-Stunners »). On ne peut voir à travers, mais là n’est pas le propos : Kabiru ironise sur le regard porté par les Occidentaux sur le continent noir et son lot de clichés, militant pour un nécessaire changement de « focale ».
L’Afrique est un vaste continent : un milliard d’habitants, 54 nations. Impossible donc d’en offrir une image exhaustive, d’où cette sélection subjective et nécessairement bancale qui flirte parfois avec un côté digest, mais qui mérite que l’on s’y attarde. D’abord, les pièces sont le reflet d’une nouvelle génération qui a foi en l’avenir. Ainsi, à l’instar d’un Seydou Keïta, qui, dans les années 1950, photographiait l’optimisme dans les rues de Bamako (Mali), le Mozambicain Mario Macilau, dans Moments of Transition (2015), portraiture en des poses joyeuses des « sapeurs » de la capitale de son pays natal, Maputo. Ensuite, cette jeune génération se sent tout naturellement partie prenante d’une culture globalisée. « On compte aujourd’hui, en Afrique, 650 millions de téléphones portables, plus qu’en Europe ou aux États-Unis, précise Petra Joos, co-commissaire de l’exposition. Or, si la jeunesse africaine communique avec la planète entière, elle ne cherche pas à imiter l’Europe ou les États-Unis pour construire un futur complètement différent. » Via Internet notamment, ces « natifs numériques » apportent au monde un nouveau regard. Pas étonnant si, en 2013, le chausseur américain BucketFeet a, pour la première fois, demandé à un Africain, l’illustrateur nigérian Karo Akpokiere, d’imaginer un motif pour l’un de ses modèles (Tokeria).
Les créateurs dénoncent et prennent parti. Dans une série d’autoportraits hilarants (Project Diaspora, 2014), le photographe sénégalais Omar Victor Diop s’affiche dans différents costumes des siècles passés, portant un accessoire incongru – un ballon de foot, des chaussures à crampons –, jouant avec le cliché selon lequel les Africains les plus connus hors de leur continent seraient uniquement des… sportifs. Avec Scary Beauty, des chaussures à talons hauts pénibles à porter, la styliste sud-africaine Leanie van der Vyver se moque, elle, des standards de beauté absurdes en vigueur dans la mode.
Contre le commerce de l’armement, le gaspillage
On se souvient des impressionnantes coiffures immortalisées dans les années 1970 par le photographe J.D. Okhai Ojeikere (Hairstyles), dont certaines sont ici accrochées. Sans doute ont-elles inspiré le Béninois Meschac Gaba et ses étonnantes Perruques-architectures (2006) en cheveu synthétique et en forme de building. Ou les graphistes de Studio Riot : affiches My Africa Is (2012), profils de femme noire dont la chevelure stylisée dessine un poing serré et levé, symbole de soutien et de solidarité. Avec son mobilier en pneus (Canapé tressé), le Sénégalais Amadou Fatoumata Ba fulmine, lui, contre le gaspillage. De son côté, le Mozambicain Gonçalo Mabunda (www.crise.com) blâme le commerce de l’armement avec un siège fait d’armes neutralisées et singeant le trône tribal traditionnel.
L’Afrique est un centre d’expérimentation à l’échelle d’un continent. À preuve : le travail de l’architecte anglais David Adjaye, né à Dar Es Salam (Tanzanie), dont est présentée la maquette du pavillon qu’il va édifier à Park Station Precinct, à Johannesburg (Afrique du Sud). Après avoir parcouru le continent de long en large pour en analyser les modèles urbains, l’homme a produit le livre African Metropolitan Architecture (éd. Rizzoli). « Ces principes sont applicables à l’ensemble de la planète », assure Adjaye dans un entretien vidéo. Il est l’une des vingt-deux personnalités à livrer, ici, une vision (passionnante) de l’Afrique contemporaine. Comme l’estime le Kényan Mugendi M’Rithaa, professeur à la Cape Peninsula University of Technology, au Cap (Afrique du Sud) : « Si la nécessité est la mère de l’invention, alors l’Afrique devrait être une superpuissance de l’innovation. » Elle en prend en tout cas le chemin.
Commissaires de l’exposition : Amélie Klein, conservatrice au Vitra Design Museum, à Weil-am-Rhein (Allemagne) ; Petra Joos, conservatrice au Guggenheim Museum de Bilbao
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L’Afrique qui se construit est à Bilbao
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 21 février 2016, Guggenheim Museum, Avenida Abandoibarra, Bilbao, Espagne, tél. 34 944 35 90 80, www.guggenheim-bilbao.es, tlj sauf lundi 10-20h, entrée 13 €.
Légende photo
Cyrus Kabiru, Sol caribeño (Soleil caribéen), de la série « Gafas maravilla (C-Stunners) », 2012, impression couleur, 150 x 100 cm. © Photo : Carl de Sauza/AFP/Getty Images.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°447 du 11 décembre 2015, avec le titre suivant : L’Afrique qui se construit est à Bilbao