Depuis les très contestés « Magiciens de la Terre », l’art du tiers-monde est devenu un enjeu central de la culture contemporaine. Nul doute que les trois expositions actuellement en cours ne témoignent d’un recentrage des questions qu’il soulève. À de rares exceptions près, cependant, les clichés ont la vie dure.
Paris - Jean-Hubert Martin, ci-devant directeur du Musée national d’art moderne et présentement conservateur du château d’Oiron, avait le premier posé ouvertement la question de l’art contemporain des pays du tiers-monde. Il ne cesse, à travers des expositions de plus ou moins grande envergure, d’y revenir – façon de montrer que rien, en ce domaine, n’est résolu et qu’il convient de battre le fer tant qu’il est chaud. Il récidive donc en compagnie de Brahim Alaoui avec ces "Rencontres africaines", présentées à l’Institut du Monde Arabe.
La démarche adoptée pour le choix des artistes est intéressante, mais ne fait pas parfaitement obstacle à l’inévitable reproche de néocolonialisme auquel tout le monde se croit obligé de penser. Les deux commissaires ont demandé à un artiste maghrébin et à un artiste noir-africain de sélectionner quatre autres créateurs en Afrique subsaharienne pour le premier, au Maghreb pour le second. Farib Belkahia et Abdoulaye Konate, qui sont juge et partie de l’exposition, se sont donc acquitté de leur tâche avec sérieux. On retrouve quelques noms déjà connus, comme celui de Frédéric Bruly Bouabré, qui développe avec humour sa cosmogonie, Géra, qu’on avait pu voir au MAAO en 1992 ou Cyprien Tokoudagba, qui participait déjà aux "Magiciens". On y découvre les peintures conventionnelles de l’Égyptien Adel El Siwi, les totems de l’Algéro-tunisien Rachid Koraichi, les figures monstrueuses du Kenyan Kivuthi Mbuno, et enfin les gouaches enthousiastes de Gouider Triki.
La fin de l’apartheid en Afrique du Sud déchaîne naturellement la sollicitude des bonnes consciences. Hormis quelques indispensables représentants d’une sculpture tribale, l’essentiel de l’exposition célèbre les vertus d’une production internationale où triomphe le cliché consensuel. Comment pouvait-il en aller autrement quand on choisit – hasard ou nécessité ? – un sombre sous-sol anonyme de l’esplanade de la Défense aux murs de guingois ? La complaisance, comprend-t-on, n’a pas de prix. D’ailleurs, un proverbe yoruba, en exergue d’une autre manifestation à la Saline royale d’Arc et Senans, rappelle que "même quand on ne sait pas bien où l’on va, on se rappelle toujours d’où l’on vient".
Sous le titre décourageant de "La route de l’art sur la route de l’esclavage", cinq artistes africains vivant pour la plupart en Europe (Omar Fall, Kra N’Guessan, El Loko, Georges Adeagbo Bili Bidjocka) célèbreront, en compagnie d’artistes français (Charles Belle, Hervé Télémaque, Robert Radford, Marc Latamie et John Lie a Fo) le bicentenaire de l’abolition de l’esclavage sur tout le territoire français. L’exposition sera ensuite présentée, entre autres, au Bénin, au Sénégal, à la Guadeloupe et aux États-Unis.
"Rencontres africaines", I.M.A., jusqu’au 15 août.
"Un art contemporain d’Afrique du Sud", Galerie de l’esplanade de la Défense, jusqu’au 31 juillet.
"La route de l’art sur la route de l’esclavage", Saline royale d’Arc et Senans, jusqu’au 15 août.
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L’Afrique dans la tourmente du « contemporain »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : L’Afrique dans la tourmente du "contemporain"