Au Musée Maillol, la présentation de la camera obscura, cette ancêtre de la photographie dont se sont servis les peintres védutistes, repose la question de la valeur du genre.
Va sempre sul loco, e forma tutto vero. » Dans les années 1720, Alessandro Marchesini vantait ainsi la précision du jeune Canaletto : « Il peint devant le motif et n’invente rien dans l’atelier, comme le fait maître Luca (Carlevarijs). » Parcourant les canaux, l’artiste était passé expert dans le maniement de la camera obscura. Dans cette chambre noire, ancêtre de l’appareil photographique, dont il reste un spécimen au Musée Correr à Venise, le reflet de la façade est projeté sur une plaque horizontale en verre grâce à un jeu de lentilles et de miroirs. Il suffit à l’artiste de poser une feuille pour en décalquer les lignes.
Une « photographie » pimentée de fantaisie
La technique était largement pratiquée à Venise par des aînés comme le peintre d’histoire Antonio Stom ou le père de Canaletto. Une exposition au printemps au Palazzo Grimani, autour des carnets de dessins de Canaletto, présentait cet appareil qui se retrouve dans l’exposition du Musée Maillol. Le peintre ajoutait des notes sur les proportions, les couleurs et même les ombres ou encore les étals et les boutiques. Il accolait ensuite ses feuilles pour peindre ses vues panoramiques. Était-il pour autant un simple « carte-postaliste » avant la lettre ? Le védutisme est en fait une topographie plus ou moins pimentée de fantaisie. Van Wittel, de passage à Venise, prenait la liberté de régulariser les fenêtres du palais des Doges ou d’ajouter un dôme. Canaletto arrangeait sa perspective en modulant les intervalles entre les palais. Il aimait diffuser les clartés en posant deux sources lumineuses à droite et à gauche de son décor, inspiré par les éclairages des théâtres où son père travaillait. Même un artiste aussi soucieux d’exactitude gardait le goût de la peinture de sa jeunesse, quand il s’attachait aux quartiers populaires.
CANALETTO
Giovanni Antonio Canal (1697-1768), dit Canaletto, est le champion du védutisme. De son professeur romain, le paysagiste Giovanni Paolo Pannini, il acquit le sens du monumental et de la lumière cristalline. Reconnu dès son retour à Venise à 24 ans, il devint le protégé de John Smith, banquier collectionneur installé au palais Balbi sur le Grand Canal, qui se fit son agent au Royaume-Uni, l’incitant à faire connaître son œuvre par la gravure. La célébrité le conduisit à séjourner à deux reprises à Londres où ses vues sont devenues plus froides. La relation a été surtout profitable à Smith, la fortune du peintre à sa mort, en dépit d’une production considérable, se résumant pour l’essentiel à sa maison de Corte Perina où il s’est éteint une vingtaine d’années après être revenu de Londres.
- Où voir Canaletto
Si le Musée Maillol lui consacre un important accrochage monographique, le Musée Jacquemart André sera lui aussi riche en tableaux du maître de la veduta.
FRANCESCO GUARDI
Si Guardi (1712-1793) peut aujourd’hui figurer à l’affiche comme le rival de Canaletto, il n’en était pas ainsi de son vivant. Il doit ce triomphe posthume à une écriture plus enlevée, un scintillement d’argent et d’or, une verve donnant vie à la Venise populaire, une touche rapide qui emporte ses personnages, au point de passer pour un précurseur du romantisme. Mais le succès l’a boudé. Il ne put même pas prendre la place de son aîné à la tête de l’atelier familial consacré à la peinture religieuse. Sa contribution aux fresques de l’église de l’Archange-Raphaël fut tardivement reconnue. Ce n’est qu’à la mort de son frère qu’il put se consacrer véritablement au védutisme, à 50 ans. Cet artiste que l’époque ne sut pas reconnaître a disparu moins de cinq ans avant l’écroulement de la république de Venise.
- Où voir Francesco Guardi
Une rétrospective du peintre est programmée au Musée Correr, à Venise, à partir du 28 septembre. Mais des œuvres seront aussi visibles à Jacquemart-André et Maillol.
BERNARDO BELLOTTO
L’artiste (1720-1780) se faisait appeler « Canaletto le jeune » — ses tableaux ont été confondus plus d’une fois avec ceux de Canaletto. Neveu du grand peintre, il s’est formé à son service avant de prendre la route dès l’âge de 20 ans. Il est le prototype du voyageur, exploitant le succès international du védutisme. Il a été appelé auprès des cours de Dresde, de Munich, de Varsovie et de Vienne. Il est mort alors qu’il devait gagner Saint-Pétersbourg. Il a poussé l’exactitude et la froideur de Canaletto jusque dans leurs derniers retranchements, au point que ses vues de Varsovie ont été reprises après 1945 pour reconstituer les quartiers historiques. Le mécanisme de ses reproductions signe la mort d’un genre, bientôt dépassé par un certain Daguerre.
- Où voir Bernardo Bellotto
C’est au Musée Jacquemart André qu’il faudra se rendre pour pouvoir admirer les vues de Bellotto.
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La « veduta » peinture ou carte postale ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°649 du 1 septembre 2012, avec le titre suivant : La « veduta » peinture ou carte postale ?