S’appuyant sur les travaux d’un comité scientifique, Troyes révèle la statuaire champenoise du XVIe siècle dans le cadre privilégié d’une église ancienne.
TROYES - Située au cœur d’échanges commerciaux européens, la Champagne devient au XVIe siècle un foyer artistique important dont Troyes pourrait être la capitale, secondée par les villes de Châlons et Reims. Pour répondre aux désirs de leurs riches commanditaires, les sculpteurs et leurs ateliers se lancent dans une production abondante désormais conservée dans les musées ou, in situ, dans des églises. Ce riche patrimoine fait aujourd’hui l’objet d’une présentation remarquable – aboutissement de plusieurs années d’inventaires et d’études réalisés sur tout le territoire – au sein de l’église Saint-Jean-au-Marché, à Troyes. On ne pouvait rêver meilleur cadre pour aborder la statuaire champenoise que cet édifice religieux construit au XIIIe siècle et remanié par la suite. Restaurée l’année dernière, l’église abrite elle-même quelques beaux exemples de cette production. Ainsi des hauts-reliefs de la Passion (1540-1550) signés Jacques Juliot, réputés pour leur finesse de taille. L’ensemble de référence trouve naturellement sa place dans un parcours rendu visible par l’utilisation de cimaises aux couleurs vives. Ce parti pris audacieux met les œuvres en valeur et donne corps aux recherches réalisées en amont par Geneviève Bresc-Bautier, conservateur général, chargée du Département des sculptures au Musée du Louvre, à la tête d’un comité scientifique créé pour l’occasion. La conservatrice et ses équipes proposent de dépasser enfin l’ouvrage fondateur de Koechlin et Marquet de Vasselot. Rédigé en 1900, le texte des deux historiens de l’art donne, selon la conservatrice, une image trop réductrice de la sculpture champenoise, considérant la fin du gothique comme une période de transition et confondant trop souvent la Renaissance avec le maniérisme. En réalité, « ces styles se juxtaposent, se subdivisent et se complexifient, voire perdent tout sens quand on cherche plus précisément à faire coïncider les productions humaines avec des principes rigides », précise dans le catalogue Geneviève Bresc-Bautier. Elle entend aussi mettre à mal un certain régionalisme qui exclut du corpus les œuvres italianisantes. Concrètement, il s’agit de réhabiliter deux sculpteurs dont les œuvres témoignent de l’influence maniériste : Jacques Juliot et Dominique Florentin, dont est présentée ici une Vierge et l’Enfant. Sculpteur, peintre, graveur et mosaïste italien, fortement influencé par Primatice, Dominique Florentin a participé au chantier de Fontainebleau en 1537. Le Maître de Chaource fait, pour sa part, l’unanimité depuis bien longtemps auprès des puristes du style champenois, sensibles à l’émotion et l’empathie qui se dégagent de sa production. à l’instar de cette Vierge de pitié (1515-1525) provenant de l’église Saint-Martin de Bayel (Aube) qui a pu retrouver ses larmes aux termes des travaux de restauration. D’autres noms émergent de cette galerie de sculptures à caractère strictement religieux : Pierre Jacques, à qui l’on doit un Christ crucifié (vers 1580) à la musculature particulièrement détaillée ; François Gentil dont les figures de David et Isaïe sont les seules œuvres attestées de l’artiste ; ou encore Nicolas Halin, artiste d’origine flamande très actif à Troyes. Si la sculpture champenoise témoigne de caractéristiques précises, comme celle des régions voisines, elle s’est renouvelée dans le contexte, commun à tout le royaume, de la reconstruction après la guerre de Cent Ans. Les vierges sculptées à Troyes ou à Reims n’échappent pas à l’idéal de beauté féminine alors en vogue – visage ovale, yeux en amande, nez droit, attitude gracieuse et humble – qui illumine actuellement la nef et le chœur de l’église Saint-Jean-au-Marché.
Jusqu’au 25 octobre, église Saint-Jean-au-Marché, place du Marché-au-Pain, 10000 Troyes, www.sculpture-en-champagne.fr, tlj 10h-19h et 22h le vendredi en juillet-août.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La sculpture en état de grâce
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €- Commissariat général : Chrystelle Laurent, conservateur des Antiquités et objets d’art, Philippe Riffaud-Longuespé, conservateur délégué des Antiquités et objets d’art, et Frédéric Murienne, conservateur régional des Monuments historiques
- Comité scientifique : Geneviève Bresc-Bautier, conservateur général, chargée du Département des sculptures au Musée du Louvre
- Muséographie : Jérôme Habersetzer
- Nombre d’œuvres exposées : 94
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°306 du 26 juin 2009, avec le titre suivant : La sculpture en état de grâce