Art moderne

Musée d’art moderne de la Ville de Paris

La résurrection d’André Derain

Plus de 350 œuvres réunies pour redécouvrir un artiste majeur du XXe siècle

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 1 novembre 1994 - 658 mots

Négligée en France depuis l’après-guerre, voire méprisée, l’œuvre d’André Derain devrait connaître, avec la rétrospective que lui consacre le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, un regain d’intérêt dans la perspective d’une relecture de l’art du XXe siècle qui saura abandonner les clichés et les dogmes établis. Fauviste, cubiste, \"archipeintre\", l’inclassable Derain fut à la croisée de tous les chemins de la modernité.

PARIS - On a oublié à quel point André Derain (1880-1954) fut, dans les années vingt, un peintre important dont la renommée éclipsait celle de bon nombre de ses prestigieux contemporains, non seulement aux yeux du grand public mais aussi à ceux d’Apollinaire ou d’André Breton.

L’évolution irrationnelle du goût a souvent suscité des réévaluations plus ou moins spectaculaires et des oublis plus ou moins profonds. Ce n’est pas le goût qui est en cause dans le cas de Derain, mais bel et bien une vision de l’histoire trop longtemps simplifiée et manichéenne, qui ne laissait pas de place aux parcours insolites et prodigues en ruptures.

Du Fauvisme, dont il fut avec Matisse l’initiateur, aux grands tableaux sombres des dernières années, André Derain a traversé le siècle avec une logique si personnelle qu’il a, en définitive, été tenu à l’écart des grands domaines de la modernité où règnent sans partage Matisse et Picasso. Dans un texte exceptionnellement limpide publié dans le catalogue, l’historien américain Jack Flam souligne la "difficulté d’être André Derain", et circonscrit l’importance de l’œuvre et la pertinence de l’aventure.

Au commencement était Cézanne
C’est en préparant l’exposition Giacometti, qui déclarait en 1957 que "rien ne dépassera Derain", que Suzanne Pagé, directrice du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, s’est décidée, il y a quatre ans, à programmer la présente rétrospective. Aussi éloignés l’un de l’autre qu’ils puissent paraître, Giacometti et Derain partagent cependant une même inquiétude et ont su ressentir l’exigence du corps, dans une époque qui avait tendance à désincarner l’art. "Je me méfie, disait-il, d’un monde qui se détruit de lui-même quand on le pousse à l’absolu."

Au commencement était Cézanne, dont le peintre a toute sa vie médité la leçon avec une attention et une intelligence remarquables. Et si les échos du maître de la montagne Sainte-Victoire se font sentir tout du long, il n’y entre aucune servilité : Derain expérimente, transforme et invente en permanence, cumulant tous les risques, répugnant à exploiter ses propres découvertes.

En 1913, Guillaume Apollinaire le situe "à l’origine du mouvement des Fauves, qui fut une sorte de préambule au Cubisme", concluant sans ambages que "le cubisme de Picasso a pris sa naissance d’un mouvement qui sort d’André Derain". L’exposition témoignera pour une bonne part de son génie fauve, où sa touche particulière fait résonner au mieux, avec une fluidité sans pareille, un espace complexe mais harmonieux. Très tôt, il multiplie ses moyens expressifs, et c’est dans ses paysages peints à Cassis et à l’Estaque, en 1907, qu’il sera le plus novateur.

Mais surtout, avec les trois étonnantes versions des Baigneuses réunies pour la première fois, avec les natures mortes des années dix, la série des Geneviève, les autoportraits où transparaît une dimension tragique du monde et de la peinture, on prendra la mesure de la continuité du projet.

La sélection des tableaux ne prétend surtout pas contraindre à une lecture de l’œuvre mais lui redonner sa vraie place, y compris au cours de la période du "Retour à l’ordre" qu’il avait anticipé dès les années dix. Hormis les portraits mondains de l’après-guerre, choisis avec parcimonie, la rétrospective ne fera l’impasse sur aucun des aspects de sa carrière et redonnera en particulier toute son importance à la sculpture. La collaboration de nombreuses institutions étrangères et de collectionneurs privés a permis de réunir plus de 350 œuvres.

"Rétrospective André Derain", Musée d’art moderne de la Ville de Paris, du 18 novembre au 19 mars. Publié par Paris-Musées, le catalogue comporte entre autres une anthologie de textes historiques et une biographie détaillée.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : La résurrection d’André Derain

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