Le Musée des beaux-arts d’Orléans présente les dessins de l’enfant du pays acquis par souscription. Cette reconnaissance tardive est le résultat d’un travail scientifique, et aussi d’un peu de chance.
Orléans. La révélation au public des dessins de Jean-Marie Delaperche (1771-1843), pour l’acquisition desquels une souscription avait réuni 124 donateurs en 2017, était prévue pour 2019. Mais, au fur et à mesure de ses recherches, l’équipe de scientifiques penchée sur le cas de ce quasi-inconnu a ouvert de nouvelles pistes. Depuis avril 2017, elle a en effet reconstitué son parcours et cherché si d’autres œuvres peuvent lui être attribuées. Chemin faisant, deux autres personnalités de son entourage ont pris de l’importance et ont dû être intégrées à la réflexion : sa mère, Thérèse Leprince (1743-1814), et son frère, Constant Delaperche (1780-1843). Ainsi, c’est une famille de peintres que ce travail exemplaire ramène dans l’histoire de l’art. « C’est une grande satisfaction d’avoir ainsi pu retrouver les missions essentielles du musée », assure Olivia Voisin, directrice des musées d’Orléans et commissaire de l’exposition. La présentation, déjà extraordinaire, de 91 lavis inédits, est devenue une exposition de 155 œuvres et documents étayée par un volumineux catalogue. L’été dernier encore, un lot inédit de papiers détenus par la famille a été communiqué au musée et la commissaire s’attend à ce que de nouveaux documents et attributions soient mis au jour.
Dans une scénographie élégante, simple et claire signée Nathalie Crinière, ce sont donc trois artistes qui se dévoilent grâce, notamment, à une médiation exemplaire. La mère, Thérèse, connue sous les noms de « Leprince » et « Laperche », était pastelliste et miniaturiste, et avait commencé sa carrière à Orléans. Mais cette femme de tête, qui réalisait des portraits de notabilités locales tout en tenant un magasin de fournitures pour les artistes, sut s’attacher des mentors précieux comme Aignan Thomas Desfriches et Charles Nicolas Cochin. C’est certainement grâce à leur appui et leurs recommandations qu’elle quitte Orléans pour Paris en 1778. Là, elle prend des leçons auprès de Jean-Baptiste Greuze et d’Élisabeth Vigée-Lebrun, et se familiarise avec l’art d’Angelica Kaufmann. Son fils Jean-Marie gardera ces références. Les portraits au pastel des années 1790 qui ne sont pas trop abîmés et un autoportrait en miniature de 1806 expliquent la notoriété dont elle a bénéficié. De fausses miniatures peintes au XIXe siècle qui lui étaient attribuées ont d’ailleurs circulé aux États-Unis.
Thérèse fait entrer Jean-Marie, puis peut-être Constant, dans l’atelier de David. Mais, pendant la Révolution, leur père, Jean-Baptiste Laperche, échappe de peu à la guillotine et Thérèse et ses fils, royalistes, s’installent en province pour se faire oublier. Dès 1801, Constant prend des fonctions commerciales chez des amis de sa mère à Reims, les Ruinart, tandis que Jean-Marie et sa famille s’exilent à Moscou où leur présence est attestée en 1805. Cependant, aucun des deux n’a cessé d’exercer son art. Le pilier de la famille sera Constant qui, en 1804, s’installe chez les Rohan-Chabot (des amis de sa mère) pour devenir précepteur des enfants. Il joue également le rôle de peintre officiel de cette famille éminente et de son entourage, fournissant des portraits, des tableaux religieux et des sculptures. En 1811, il obtient de pouvoir réaliser des bas-reliefs à l’église Saint-Roch de Paris. Après la mort de son épouse, le duc Louis-François prend l’habit ecclésiastique et lui commande des bas-reliefs pour sa chapelle de La Roche-Guyon (1816-1819). Deux d’entre eux, récemment restaurés, sont exposés à Orléans.
De son côté, Jean-Marie est également précepteur, en Russie où il ne semble pas qu’il ait laissé de peintures. En revanche, des dessins y sont conservés et la série d’Orléans date en partie de cette période. Certains sont peut-être destinés à illustrer ses leçons auprès des enfants Venevitinov, d’autres, commentés au dos de la feuille, sont le fruit des réflexions ou le reflet des sentiments de l’artiste. Ces lavis – allégories, scènes historiques, religieuses ou mythologiques, scènes de genre – sont de véritables tableaux en grisaille, tous (à l’exception d’un) réalisés sur du papier anglais et d’un point de vue stylistique largement influencés par la peinture anglaise, très connue à cette époque en Russie. On ne sait si Jean-Marie a gardé des relations avec ses anciens condisciples de l’atelier de David. Il est certain toutefois qu’il est au courant de l’évolution de la peinture française et connaît le travail de Pierre Paul Prud’hon, par exemple. À son retour en France, en 1824, il tente de présenter des portraits au Salon, toujours refusés. Il persiste cependant dans le genre en faisant le tour des villes où l’on peut trouver une clientèle, annonçant son arrivée par voie de presse. Il peint sans doute fréquemment avec son frère, comme c’est le cas pour Saint Roch et les lépreux (1841), grande toile très dégradée montrée dans l’exposition. Il existe donc certainement en France un certain nombre de portraits et des œuvres plus ambitieuses qui attendent leur attribution à l’un ou l’autre des frères Delaperche. Au Musée d’Orléans, en tout cas, des dessins de Jean-Marie seront dans l’avenir présentés en permanence, en hommage à un talentueux enfant du pays.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°539 du 14 février 2020, avec le titre suivant : La redécouverte de Jean-Marie Delaperche