Après Turin l’été dernier, la première rétrospective Boetti, depuis sa disparition en 1994, est présentée à Villeneuve-d’Ascq avant le Museum für Moderne Kunst de Francfort. L’occasion de relire une œuvre-clé de l’art italien contemporain.
VILLENEUVE-D’ASCQ - Voici dix ans, le Nouveau Musée de Villeurbanne avait présenté une vaste exposition Alighiero e Boetti. Celle qui se tient à Villeneuve-d’Ascq est, dans tous les sens du terme, une rétrospective, la première depuis la disparition de l’artiste en 1994. Organisée par Jean-Christophe Amman, directeur du musée de Francfort, avec la collaboration d’Anne Marie Sauzeau-Boetti et de Maria-Teresa Roberto, de la Galleria civica d’arte moderna de Turin, elle n’est pas seulement plus complète, elle permet aussi de reconsidérer les enjeux de cette œuvre insolite. Ce n’est pas sans raison ni perspicacité que J.-C. Amman la compare à celle de Bruce Nauman. Peu d’artistes ont en effet assumé avec autant de légèreté que de rigueur, avec autant d’allant que de distance, l’héritage duchampien ou ce qui pouvait en rester dans les années soixante.
Métaphysique du jeu
D’emblée, Boetti envisage les choses et leur translation plastique comme un jeu aux règles le plus souvent simples, mais dont les effets vont se révéler complexes ou mystérieux. Un Mètre cube (1967) est à cet égard très représentatif de ce qu’on peut désigner comme la méthode de l’artiste : divers matériaux (bois, tuyaux, laine, polystyrène, spaghetti…) sont simplement sertis dans un cube de plexiglas sans laisser place au moindre intervalle. En résulte une œuvre parfaitement homogène dans sa conception et son apparence, mais qui suscite pourtant quantité de questions irrésolues sur la profondeur, sur le rapport des parties au tout, sur sa raison même d’exister. Cette œuvre est, dans le meilleur sens du terme, exceptionnellement datée : elle n’est pas seulement une forme, elle est aussi une archéologie, un moment du monde, échantillonnage désinvolte du paysage construit.
On a coutume d’insister sur la dimension ludique de ce travail, parfois au détriment de ce que le jeu ne fait que provoquer en associant des données a priori incompatibles. Le temps, le risque de l’ordre et du désordre, le risque du double et de l’évolution, le fini et l’infini, le corps, l’accident poétique sont simultanément impliqués dans des objets qui mettent le spectateur en situation. Le regard perd toute tentation de passivité, mobilisé par un monde en train de s’élaborer dans une actualité perpétuelle. Passé, présent, avenir mêlés, le temps n’est plus un ordre fixe et imperturbable mais gagne une consistance contradictoire qu’illustre au mieux la Lampe annuelle (1966). Dans un caisson de bois, une grosse ampoule est supposée s’allumer une fois par an à l’improviste pendant onze secondes. Jamais nous ne saurons où nous en sommes de l’événement, et l’on se surprend à espérer être choisi par le hasard pour la voir enfin s’illuminer.
Broderies ou tapisseries
Avec Boetti, comme avec Nauman en effet, l’art n’est pas une simple question de formes plus ou moins convaincantes, plus ou moins habiles. Il est, comme le suggère du reste la formule "Shaman Showman " de 1968, l’instrument d’une révélation aussi intime que cosmique. Dans ses broderies ou tapisseries, telle Tutto de 1987, Boetti sait toujours trouver le point critique entre l’expansion infinie et le détail dans toute sa proximité sensible et idéale, ce point où les continuités, parce qu’elles sont mises en crise, trouvent une nouvelle vie. La poétique de Boetti ne vise pas seulement à traverser les apparences mais à y faire un séjour paradoxal.
ALIGHIERO E BOETTI, RÉTROSPECTIVE, jusqu’au 12 janvier 1997, Musée d’art moderne de Villeneuve-d’Ascq, tlj sauf mardi 10h-18 h. Catalogue sous la direction de Jean-Christophe Amman, éditions Mazzotta, 276 p., 260 F.
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La poétique de Boetti
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°30 du 1 novembre 1996, avec le titre suivant : La poétique de Boetti