PARIS
Dans le cadre de l’Automne italien, Giambattista Tiepolo (1696-1770), le plus européen des peintres de la Péninsule, fait l’objet d’une rétrospective au Petit Palais, la première à lui être consacrée en France. Un événement complété par la restauration de ses fresques au Musée Jacquemart-André.
PARIS - Des portraits des doges Cornaro qui ouvrent l’exposition au Saint Pierre d’Alcantara sur lequel elle se clôt, le Petit Palais retrace la carrière de Giambattista Tiepolo, dont l’œuvre, à l’instar de ces figures monumentales, oscille entre histoire et religion. En 83 peintures, 36 dessins et autant de gravures, la sélection s’efforce d’évoquer les décors monumentaux du maître du rococo qui, de Venise à Madrid en passant par Würzburg, a couvert églises et palais de ses grandioses et néanmoins élégantes allégories, servi dans cette tâche titanesque par un atelier efficace.
Dans ses premières œuvres, Tiepolo, formé dans l’atelier de Lazzarini, subit encore l’ascendant du ténébrisme en vogue à Venise au tournant du siècle, mais pose déjà les fondations de sa carrière future. Avec Saint Dominique en gloire (1723), il réalise sa première esquisse pour un décor plafonnant, spécialité qui allait faire sa gloire. Non loin de là, figurent ses deux premiers tableaux d’autel destinés à des églises vénitiennes, l’Adoration de l’Enfant Jésus et l’Éducation de la Vierge (vers 1732), qui inaugurent une longue série de chefs-d’œuvre. Aux commandes de l’Église et du patriciat vénitiens s’ajoutent rapidement des demandes venues de toute l’Europe. L’envoyé du roi de Suède, Nicodème Tessin, échouant à attirer Tiepolo à Stockholm, repart en emportant entre autres le célèbre Jupiter et Danaé. Le prince-évêque de Würzburg se sera certainement montré plus généreux puisqu’en 1751, le maître vénitien arrive dans la cité franconienne pour écrire une des plus belles pages de la peinture européenne du XVIIIe siècle. À la Résidence, véritable “planète Tiepolo” selon Massimo Gemin et Filippo Pedrocco, auteurs de son catalogue raisonné, il s’attaque d’abord aux deux fresques de la Kaisersaal. Si ce décor est évoqué par deux esquisses, aucune ne vient illustrer son morceau de bravoure, le plafond de l’escalier et ses 600 m2 de fresques qu’il réalise dans la foulée. En revanche, le modello pour Le Monde rend hommage à l’Espagne, au Palais royal de Madrid, figure en bonne place dans l’évocation du séjour espagnol (1762-1770).
En regardant Véronèse
Une section est réservée au thème particulièrement fécond de l’Histoire d’Antoine et Cléopâtre, sur lequel il est revenu à trois reprises. Avant le célèbre cycle du Palais Labia, Tiepolo avait fait un premier tableau – aujourd’hui à Melbourne – dont l’esquisse est conservée au Musée Cognacq-Jay, à Paris, mais surtout deux toiles monumentales, l’Entrevue d’Antoine et Cléopâtre et le Banquet de Cléopâtre, conservées à Arkhangelskoïe et sorties pour la première fois de Russie depuis leur achat, en 1800, par le prince Youssoupov. Ce sont ces œuvres qui évoquent le mieux à la fois l’ampleur et l’ambition des fresques décoratives peintes par Tiepolo dans les palais d’Europe, mais aussi sa dette envers Véronèse. Leur esprit mondain et la richesse des costumes appellent naturellement le rapprochement avec les Noces de Cana du Louvre.
Plus que l’évolution d’un style qu’il est difficile d’appréhender dans une telle profusion d’œuvres et une telle variété de formats, la contemplation de tous ces tableaux souligne à quel point la virtuosité de la composition et la préciosité des coloris occultent la charge dramatique de la plupart des scènes représentées. Un peu d’attention est nécessaire au visiteur pour distinguer le Jugement dernier d’un triomphe allégorique.
Stéphane Loire, l’un des commissaires de l’exposition, note dans le catalogue que “si cette rétrospective de l’œuvre de Giambattista Tiepolo avait été présentée à Paris au début de ce siècle, elle aurait sans doute pu être organisée à partir des seules œuvres conservées en France”. Si la dispersion des grandes collections privées n’a guère profité aux musées français, il a pourtant été possible de réunir un exceptionnel ensemble des dessins issus de leurs fonds. Études de composition ou d’expression, caricatures, Tiepolo y fait preuve de la même aisance que dans ses toiles, et certaines feuilles, telles les Polichinelle, soulignent tout ce que son fils Giandomenico lui doit. Surdoué, Tiepolo excellait également dans la gravure, où il a pu laisser libre cours à sa fertile imagination dans deux étourdissantes séries, les Capricci et les Scherzi di fantasia.
Jusqu’au 24 janvier, Musée du Petit Palais, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris, tél. 01 42 65 12 73, tlj sauf lundi 10h-17h40, jeudi 10h-20h. Catalogue, Paris-Musées, 320 p., 150 ill. coul., 340 F.
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La planète Tiepolo
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Abonnez-vous dès 1 €Réalisé pour la famille Pisani en 1745 et acquis en 1893, le décor de la villa Contarini est le seul ensemble de fresques de Tiepolo conservé en France. Au Musée Jacquemart-André, qui les abrite, vient de s’achever la salutaire restauration de L’arrivée d’Henri III à la villa Contarini. Ces opérations ont rendu à l’œuvre cette vivacité de coloris si caractéristique de la manière tiepolesque. Jusqu’au 20 janvier, le musée propose une petite exposition autour de ce chef-d’œuvre, dans laquelle est notamment montrée l’esquisse préparatoire qui présente, comme souvent chez Tiepolo, des différences notables avec la fresque finale.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°70 du 6 novembre 1998, avec le titre suivant : La planète Tiepolo