HAVRE
Tout un pan de l’histoire de la photo s’est joué sur le littoral normand, comme le montre le MuMa au Havre.
Le Havre (Seine-Maritime). « La photographie a été inventée en Bourgogne par Nicéphore Niépce dans les années 1820, puis perfectionnée par Louis Daguerre dans les années 1830, avant de se diffuser dans le monde entier à partir de Paris, capitale intellectuelle et artistique, rappelle Sylvie Aubenas, directrice du département des Estampes et de la Photographie à la Bibliothèque nationale de France. Mais cette diffusion s’est faite aussi par des foyers régionaux. Et si au cours de cette époque il y a un autre endroit pour la diffusion, l’invention, le perfectionnement et l’appropriation de la photographie, c’est incontestablement la Normandie. »
Le rôle décisif qu’a joué la région dans les débuts de la photographie n’est pas connu. Avec Dominique Rouet, conservateur général des bibliothèques du Havre, et l’éditeur Benoît Eliot, auteur d’ouvrages sur l’histoire iconographique de la Normandie, Sylvie Aubenas raconte cette histoire aux thématiques traversées par les défis techniques à relever. Parmi les sujets de prédilection de ces années 1840-1890 : les villes (Rouen, Le Havre en particulier), les ports, la mer, la plage, les falaises, les sites patrimoniaux et les stations balnéaires.
L’idée lancée par Annette Haudiquet, avant son départ de la direction du Musée d’art moderne André-Malraux (MuMa), au Havre, a pris corps, et elle réjouit les yeux et l’esprit par son récit, fort des prêts de la BNF, de la bibliothèque municipale du Havre et de fonds photographiques détenus par d’autres villes de la région, mais aussi de la Société française de photographie et de collectionneurs privés.
Appréciée des peintres au XIXe siècle, la Normandie le fut tout autant par les photographes professionnels ou amateurs, originaires ou non de la région. Le parcours comprend ainsi quelques correspondances avec des œuvres de Courbet, Eugène Boudin, Manet, Berthe Morisot et Monet – un ou deux tableaux par section. La Normandie est proche de Paris, et plus encore avec l’ouverture de la première ligne de chemin de fer Paris-Rouen en 1843, prolongée jusqu’au Havre quatre ans plus tard. La plupart des grands noms de la photographie séjournent dans la région : Hippolyte Bayard, Henri Le Secq, les frères Bisson, Gustave Le Gray…, et, dès mai 1843, William Henry Fox Talbot. L’inventeur anglais de la photographie, « séjourne à Rouen sur le chemin de Calais à Paris et réalise les premiers calotypes datés de la ville », rappelle Dominique Rouet. Rouen devient vite une étape incontournable pour les Anglais tel John Ruskin dont les vues sublimes de la cathédrale de Rouen (1854) sont de véritables prouesses techniques. Tout comme, bien avant, les premières photographies du Havre et du bassin du Roi que réalise Hippolyte Fizeau en 1840 – âgé de 21 ans, il n’est pas encore le scientifique auquel on doit le calcul de la vitesse de la lumière.
Découvrir la physionomie de la ville et de son port avant leur destruction par les bombardements alliés de 1944 n’est d’ailleurs pas sans troubler. On peut oublier, devant ce portrait du Havre de toute beauté, ce qu’ont été les obstacles techniques. Fixer l’image sur plaque puis sur papier demandait à l’époque de longs temps de pose. Ce sont Edmond Bacot sur la plage de Lion-sur-Mer et les frères Macaire sur la jetée nord du Havre qui, en 1850, réalisèrent les premiers instantanés et premières photographies de marine de l’histoire du médium. C’est au Havre et à Sainte-Adresse que Le Gray, en 1856, réalise ses premières marines, célèbres photographies de mer et ciel associés. Le parcours de cette fabuleuse épopée révèle encore les figures d’Alphonse de Brébisson et Humbert de Molard.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : La Normandie des premiers photographes