La première exposition d’envergure pour l’artiste français en Belgique déroule un parcours rythmé par les couleurs et la saison.
Grand-Hornu (Belgique). Lionel Estève est un artiste difficile à classer. Peut-être parce qu’il ne fait jamais deux expositions pareilles. Pour clore tout débat, il se dit sculpteur. « Il y a dans la mise en œuvre de la sculpture, comme dans celle du dessin, une spontanéité, une immédiateté que j’aime. Quelque chose de direct. » Un sculpteur qui puise sa matière première là où il la trouve, au bord d’un chemin ou d’une plage, dans le lit d’une rivière, sur les trottoirs des villes ou dans son espace domestique. Un matériau qui est plus transformé que trouvé, parce que ce qui l’intéresse n’est pas tant la nature de l’objet ou du matériau, mais comment il le transforme par le geste artistique. « Je pense les objets tout en les construisant. Le travail manuel permet certainement une autre réflexion, une implication différente. Peut-être que ce rapport manuel à la technique implique une sorte de créativité, ne serait-ce que par sa maladresse ? », explique-t-il.
Lionel Estève, artiste français (né en 1967) qui réside une partie de l’année à Bruxelles, y a fréquemment exposé en galerie. Pour sa première exposition muséale, il a choisi de mêler des œuvres anciennes à de nouvelles productions qu’il a mises en espace comme une installation. En se plaçant sous le signe des saisons, il renvoie à la nature même de ses matériaux comme à l’évolution et à la diversité de sa production. Estève ne fait aucune différence entre l’origine naturelle ou artificielle des matériaux qu’il met en forme dans son atelier. Qu’il s’agisse d’une simple plume suspendue à un fil et animée par un petit moteur pour ouvrir le parcours ou les grandes pièces de tulle multicolore achetées dans un magasin de déco populaire, qu’il superpose pour créer l’illusion d’un ciel étoilé. Toujours la simplicité du matériau et la main qui transforme, qui poétise. Il y a un retour à l’enfance dans les paréidolies avec les pierres et galets qui suggèrent un visage édenté, un poisson ou une main, mais c’est aussi le résultat d’un travail lent et minutieux. Avec ses Flowers on rock, il recrée la nature avec des matériaux de pacotille, semant le trouble entre l’organique et l’inorganique.
Ses délicats papiers réalisés avec des fleurs coupées et pressées, puis peintes à l’aquarelle ou dorées à la feuille d’or, sont une humble révérence à la beauté de la nature comme à celle des motifs décoratifs de l’art ancien. La dernière salle, conçue comme un paysage immersif et composé à partir de pièces inédites ou issues de séries anciennes, termine le parcours dans un feu d’artifice de matières et de couleurs. Au sol, de grosses pierres et galets dodus marqués par le souvenir irisé d’une eau stagnante et virtuelle, comme un reliquat des temps anciens. Au mur, une installation faite de 12 000 gouttes de fil d’acier dispersées de façon aléatoire qui créent un motif, apparemment uniforme et qui, quand on s’en approche, révèle la subtilité de leur mise en couleur semblable à la vibration d’un arc-en-ciel. Comme la respiration d’une nature rêvée.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°624 du 5 janvier 2024, avec le titre suivant : La nature selon Estève