Figure majeure de l’art belge, Pol Bury (1922-2005) est connu pour ses sculptures cinétiques, mais il était également graveur, écrivain, penseur… Le centenaire de sa naissance est l’occasion de rendre hommage à sa carrière créative d’une incroyable richesse.
L’évolution du travail de Pol Bury et la découverte de son propre style s’éclairent à l’aune de rencontres décisives qui ponctuent sa carrière. La première est celle avec le poète Achille Chavée, qu’il rencontre dans un café à l’âge de 16 ans, alors qu’il est étudiant à l’École des beaux-arts de Mons. C’est le début d’une amitié et d’une relation fondatrice pour Pol Bury, qui délaisse l’enseignement académique et rejoint le groupe Rupture, que le poète avait fondé quelques années auparavant. Il découvre auprès de lui l’engagement politique et le surréalisme, côtoie le groupe de Bruxelles et René Magritte. À cette époque, l’influence d’Yves Tanguy, puis de Magritte, est prégnante sur sa peinture. Durant la guerre, il peint peu et s’engage dans la Résistance avant d’être dénoncé et de fuir en France. En 1945, de retour en Belgique, il participe à l’exposition internationale du surréalisme à Bruxelles avant de s’affranchir du mouvement et de se tourner vers l’abstraction. Mû par un désir de renouvellement et « attiré par la couleur et la forme » (Véronique Blondel, co-commissaire de l’exposition « Va-et-vient » à La Louvière), il rejoint en 1947 le groupe de la Jeune peinture belge avant de se lancer quelques années plus tard dans l’aventure CoBrA, à la suite de sa rencontre avec Christian Dotremont et Pierre Alechinsky.
En 1950, la découverte des mobiles de Calder à la Galerie Maeght est une véritable « révélation », qui bouleversera durablement son travail. Suite à cela, il abandonne définitivement la peinture en 1953. « S’ouvrir à l’espace en multipliant des combinaisons de formes détachées du mur devient prioritaire. » Désormais, « Bury intègre dans l’espace de son œuvre les principes du temps, de la durée et du mouvement » (Véronique Blondel). Il peut ainsi développer son propre style. Ainsi, il réalise ses premiers reliefs, les Plans mobiles, qu’il expose à la Galerie Apollo en décembre 1953. Composées d’éléments en métal et bois sur pivots, ces compositions, manipulables par les visiteurs, intègrent le mouvement et l’aléatoire. Son travail est alors remarqué par Denise René, qui l’invite à participer à l’exposition « Le mouvement » (1955) dans sa galerie à Paris. Pol Bury y présente des reliefs aux côtés d’artistes internationaux renommés (Calder, Soto, Duchamp, Tinguely et Vasarely). Ces nouvelles rencontres, dont naissent quelques amitiés, sont fondamentales pour Bury, qui devient alors un représentant majeur de l’art cinétique.
Après avoir été « contrarié par les interventions intempestives du public » (Véronique Blondel) lors de la présentation de ses Plans mobiles, Bury avait envisagé d’intégrer à ses reliefs des moteurs électriques. Ce sera chose faite quelques années plus tard avec ses Multiplans, des reliefs composés de baguettes de bois insérées dans un cadre et sur lesquelles sont peints des motifs géométriques de couleurs vives. À l’aide de moteurs électriques, elles pivotent très lentement sur elles-mêmes, pour former des compositions géométriques mouvantes et sans cesse différentes. Vient ensuite une nouvelle rupture, en 1959, lorsqu’il crée ses premières Ponctuations, avec lesquelles il s’émancipe définitivement de l’influence de la peinture abstraite et géométrique et s’engage pleinement dans une poétisation du mouvement et de la lenteur. Ainsi, Véronique Blondel écrit-elle à propos de cette série : « Du fait de son émergence imprévisible, de sa lenteur et de son caractère aléatoire, le mouvement amène le spectateur à une certaine attente puis à sa contemplation même, d’un temps suspendu. »
En 1961, Pol Bury s’installe en France, où il expose à plusieurs reprises à la Galerie Iris Clert. Cette décennie sera celle de sa reconnaissance internationale. En 1964, il représente, avec d’autres artistes, la Belgique à la Biennale de Venise. Il y rencontre John Lefebre, qui vient d’ouvrir une galerie à New York avec l’intention de montrer de l’art européen. Le galeriste l’invite à réaliser une exposition monographique, qui rencontre un énorme succès. À cette période, durant laquelle il réside principalement aux États-Unis, John Lefebre lui consacre d’autres expositions, et des œuvres sont acquises par le MoMA. C’est Aimé Maeght qui le convainc de rentrer en France en 1968 et lui offre la possibilité d’utiliser les presses de l’imprimerie ARTE-Maeght. Il s’engage alors pleinement dans les expérimentations graphiques, notamment auprès d’André Maeght, imprimeur et responsable de l’atelier.
C’est au tournant des années 1970 qu’il crée ses premiers Ramollissementsà l’aide de miroirs mous, puis en retouchant l’image au dessin. Ainsi, il déforme le visage de personnalités internationales (Mao Zedong, le pape…), des monuments ou des œuvres d’art iconiques. À propos de ces œuvres, Véronique Blondel écrit qu’« il s’attaque avec humour aux “maîtres à penser”, questionne l’image sacralisée, la pensée unique et, dans le domaine du temps et de l’espace, met en doute l’immuable », avant de conclure : « Plus qu’une déformation ou une réflexion sur l’espace, le miroir mou est surtout une méthode de dérision ». C’est à cette même période qu’il commence les installations monumentales et crée en 1976 sa première sculpture hydraulique cinétique. Alors que des rétrospectives itinérantes aux États-Unis et en Europe ont consacré son travail dès 1970, la fin de cette décennie est marquée par de nombreuses commandes publiques. Les Sphérades, fontaines installées au cœur du Palais-Royal et commandées par Jack Lang, en sont un très bel exemple. Une dizaine de sphères métalliques de différentes tailles sont posées sur des plateaux et proposent un jeu de reflet et de miroir avec l’architecture, les jardins et le ciel. C’est avec lenteur et subtilité que le mouvement anime les sphères en contact avec l’eau.
Extrêmement prolifique et toujours tourné vers l’expérimentation, Pol Bury s’empare dans les années 1990 des derniers progrès technologiques lui permettant de jouer avec les dimensions des images et réalise des impressions numériques sur des grandes toiles. Dans les années 2000, il s’adonne aux « ramollissements virtuels », s’amusant notamment à déformer des œuvres d’art iconiques, comme La Grande Odalisque d’Ingres. Durant toute sa carrière, Pol Bury n’aura eu de cesse d’innover, en transposant ses recherches et sujets de prédilection dans divers médiums et techniques. Une soif de renouvellement permanent de son langage artistique que Véronique Blondel célèbre en ces termes : « Il est protéiforme et prolifique. Auteur, éditeur, écrivain, l’artiste dessine, sculpte, grave, maniant le crayon, la cisaille, la pince ou la gouge. Passionné par les progrès scientifiques et techniques, ni le moteur électrique, ni les aimants, ni la force de l’eau ne l’arrêtent pour autant qu’ils alimentent les questions du temps, de l’espace, de la durée, de la pesanteur et de la gravitation universelle. »
L’écriture a été une activité fondamentale tout au long de la vie de Pol Bury, activité à la fois séparée et complémentaire de son travail plastique. Si son goût pour l’écrit remonte à l’enfance, sa rencontre avec Achille Chavée et la période surréaliste lui ont fait découvrir la poésie, la littérature et les écrits politiques. Puis, c’est pendant l’expérience CoBrA qu’il commence à publier des textes dans la revue du groupe. Frédérique Martin-Scherrer, qui a consacré un très bel essai aux écrits de Pol Bury, souligne que « de la période CoBrA, Pol Bury dira toujours qu’il en a retenu essentiellement, pour sa part, l’apport littéraire ; il est certain, en tout cas, que l’effervescence créatrice du groupe a libéré sa plume. » C’est d’ailleurs en 1949, l’année même où il intègre le groupe CoBrA, qu’il ouvre la Librairie de La Fontaineà La Louvière. Il y fait une autre rencontre décisive, celle d’André Balthazar. « Leur amitié indéfectible naîtra de là, dans ce lieu qui consacre le livre et l’imprimé, l’écrit et la poésie, mais aussi parce que, dans leur passion commune, [ils] partagent à l’envi l’esprit de dérision, l’humour et l’insoumission », écrit Véronique Blondel. Les deux hommes créent l’Académie et les éditions de Montbliard en 1955, pour publier leur poésie et celle de leurs amis, qui deviendra la maison d’édition du Daily-Bûl en 1957. Ils créent également une revue du même nom et une véritable « pensée bûl » se développe. Caractérisée par le détournement et l’autodérision, celle-ci est définie par le poète Marcel Havrenne en ces termes : « La pensée bûl n’est pas souvent ce qu’on croit ; elle en serait même, le cas échéant, tout le contraire. »
Dans son ouvrage, Frédérique Martin-Scherrer explore l’articulation entre le travail plastique et les écrits de Pol Bury, le constant va-et-vient entre ces deux pratiques distinctes qui pourtant se nourrissent. « À certains moments, j’ai eu le besoin de prolonger par écrit les réflexions que je me faisais en regardant certaines de mes sculptures. Je n’ai pas le don de l’élocution, ni celui de la pensée travaillant comme une mécanique ; il n’y a que la plume à la main que je donne corps à mes idées », affirme Pol Bury. Ainsi, l’écriture est le prolongement de son travail sculptural et une manière de nourrir ses réflexions. Toute sa vie, il a tenu des carnets dans lesquels il couchait ses réflexions, pensées et analyses.
Alors qu’il écrivait sous divers pseudonymes, notamment Pirotte, à l’époque du Daily-Bûl, la reconnaissance internationale acquise dans les années 1970 lui permet de signer ses textes. Ainsi Frédérique Martin-Scherrer écrit-elle : « Pol Bury s’engage alors en son nom dans les batailles esthétiques de l’époque, pourfendant ce qu’il estime être des postures inspirées par le contexte idéologique le plus représentatif de l’air du temps, à savoir, pour dire les choses rapidement, tout ce qui relève du collectivisme et qui lui paraît menacer sa liberté artistique. » À cette époque, il publie de nombreux ouvrages de critique artistique, toujours teintée d’humour et de dérision, parmi lesquels le recueil L’Art à bicyclette et la révolution à cheval (1972) ou un dictionnaire philosophique intitulé Les Gaietés de l’esthétique (1984).
L’exposition "Va-et-vient"
Dans le cadre de l’événement Pol Bury – 100 ans à La Louvière, sa ville natale, le Centre de la gravure et de l’image imprimée (CGII) consacre une importante exposition à l’artiste. Intitulée « Va-et-vient », elle présente plus de 250 œuvres réalisées tout au long de sa carrière – quelques sculptures et reliefs animés, mais principalement des estampes. C’est à partir des années 1960 qu’il s’intéresse pleinement au domaine de l’imprimé, et ne cessera de produire des estampes en parallèle de ses sculptures, déployant ses recherches cinétiques en deux et en trois dimensions. « Cette articulation de va-et-vient entre volumes et surfaces planes des papiers » est « la colonne vertébrale de l’exposition », selon les termes de Christophe Veys, directeur du CGII et co-commissaire de l’exposition.
« Pol Bury, Va-et-vient »,
jusqu’au 12 mars 2023. Centre de la gravure et de l’image imprimée, 25, rue des Granges, La Louvière (Belgique). Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs : 8 et 3 €. Commissaires : Véronique Blondel et Christophe Veys, www.centredelagravure.be
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La Louvière sort Bury de sa « bûl »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°761 du 1 janvier 2023, avec le titre suivant : La Louvière sort Bury de sa « bûl »