La Fondation Beyeler, à Bâle, confronte des œuvres d’art africain et océanien à sa collection d’art moderne.
RIEHEN/BÂLE - Comme un miroir inversé de sa collection permanente, la Fondation Beyeler, à Riehen près de Bâle (Suisse), ne présente, pour l’exposition « La magie des images », qu’une infime partie de son fonds d’œuvres d’art moderne pour privilégier sa collection d’art primitif, complétée par des prêts. Les pièces réunies, provenant notamment des riches fonds du Museum der Kulturen de Bâle et du Musée Barbier-Muller à Genève, constituent un remarquable ensemble ethnographique. Chaque salle met en valeur un type de sculpture propre à une civilisation : les figures de pilons Senufo de Côte d’Ivoire, les figures reliquaires des Fang du Gabon, les Rapa Nui de l’île de Pâques… Présentées de manière isolée dans les espaces sobres et modernes de la fondation, les œuvres s’offrent de façon intime et brutale. « Leur vue doit susciter ce choc premier, cette force primaire de l’œuvre qui est la force de l’art », affirme Olivier Wick, le commissaire de l’exposition. Elles renouent ainsi avec leur fonction initiale : souvent utilisées lors de rituels, leur apparition devait créer un choc sur le public ; « L’art moderne propose ce même rapport à l’œuvre », ajoute le commissaire. Sur ce simple postulat repose la scénographie. Le visiteur ne doit pas y chercher le thème classique de l’influence du primitivisme sur l’art moderne, jusqu’ici décrypté à travers les collections que possédait chaque artiste. De fait, la confrontation des œuvres surprend en raison de son caractère arbitraire : que font les crocodiles Korewori devant les Nymphéas de Monet alors que celui-ci fut essentiellement collectionneur d’estampes japonaises ? Peut-on regarder les peintures de Miró à la lumière des statuettes Tellem du pays de Dogon seulement parce que la texture de ces dernières serait « croûteuse » ? N’est-ce pas induire le public en erreur que de mettre en parallèle les gouaches découpées de Matisse et certaines statues de Nouvelle-Guinée desquelles elles semblent s’inspirer trait pour trait ?
Magie et mystère
Le parti pris de ces rapprochements aléatoires, déconcertants, s’oppose à celui développé par l’historien de l’art William Rubin dans l’exposition qui s’est tenue en 1984-1985 au Museum of Modern Art (MoMA) à New York (1). Olivier Wick refuse ici le système de correspondances entre les œuvres des maîtres et leur collection personnelle qu’imposait alors la scénographie du MoMA ; ces parallèles selon lui contraignants limitent l’imaginaire censé se développer au regard de ces objets d’art primitif. D’une certaine manière, son approche fait écho à la défiance des modernes vis-à-vis de l’esprit rationaliste – ce qui leur permit justement de regarder la création non occidentale –, mais la scénographie de Bâle privilégie des rapprochements esthétiques. Néanmoins, si le sous-titre de l’exposition « L’Afrique, l’Océanie et l’art moderne » ne répond pas à l’attente des connaisseurs, « La magie des images » convoque bel et bien le mystère. Le visiteur se laissera porter par la vision des statuettes Nkisi cloutées du Congo ou des flûtes des Mundugumor de Papouasie. Comme l’explique Auguste Macke, peintre qui appartint au mouvement Der Blaue Reiter : « La forme est un mystère pour nous, parce qu’elle est l’expression de forces mystérieuses. […] partout au monde les formes tiennent un discours sublime. Dans le jeu des enfants déjà, dans le chapeau de la cocotte, […] des idées invisibles se matérialisent doucement. »
Aussi contestable soit le parti pris de l’exposition, cette brillante « collection ethnographique » vaut à elle seule le voyage de Bâle.
(1) « Le primitivisme dans l’art du XXe siècle ».
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« La force primaire de l’œuvre »
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Abonnez-vous dès 1 €La magie des images. L’Afrique, l’Océanie et l’art moderne, jusqu’au 24 mai, Fondation Beyeler, Basel-strasse 101, Riehen/Bâle, Suisse, tlj 10h-18h, le mardi jusqu’à 20h, tél. 41 61 645 97 19, www.beyeler.com. Catalogue, éd. Christoph Merian Verlag, Bâle, en allemand, édition anglaise à paraître.
LA MAGIE DES IMAGES
Commissaire de l’exposition : Olivier Wick
Nombre de prêts d’œuvres : 180 provenant de 50 collections publiques et privées
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°297 du 20 février 2009, avec le titre suivant : « La force primaire de l’œuvre »