Archéologie

La dolce vita étrusque

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 2 octobre 2013 - 1112 mots

Avant Rome étaient les Étrusques, lien vivace entre le monde grec et l’Italie antique. Huit siècles de raffinement et de modernité sont exposés avec éclat et pédagogie au Musée Maillol.

Des Étrusques, les écoliers français comme italiens connaissent si peu de chose, » se désolait Patrizia Nitti au moment de préparer son exposition. Quant aux adultes, leur esprit semble encore encombré de clichés tenaces portant sur leur origine supposée « orientale » et leur écriture « mystérieuse ». C’est donc avec un titre un brin provocateur – Étrusques, un hymne à la vie — que la directrice artistique du Musée Maillol a choisi de dépoussiérer l’image des Étrusques, dont l’étude a trop longtemps exclusivement porté sur leurs traditions funéraires.

Or, à contempler les quelque 250 pièces prêtées de façon exceptionnelle par les plus grands musées européens, un constat s’impose : admirables passeurs entre la culture grecque et la culture romaine, les Étrusques étaient un peuple de marins et de marchands prospères, dont l’hédonisme et la vitalité explosaient dans leur céramique, leur orfèvrerie, leur peinture murale comme leur statuaire.
Délibérément ancrée dans le monde des vivants, l’exposition n’ignore ainsi aucune facette de cette civilisation qui s’est développée, entre le IXe et le Ier siècle avant notre ère, sur un vaste territoire englobant la Toscane actuelle, la partie occidentale de l’Ombrie et le nord du Latium jusqu’à Rome. De la religion à l’écriture en passant par l’habitat, l’armement, les plaisirs du corps et de l’esprit, on y découvre un peuple « sous influences », adaptant au gré de ses humeurs et de sa philosophie les mœurs et les avancées technologiques de ses puissants voisins : Grecs, Phéniciens et autres peuples d’Orient.

Carrefour des civilisations méditerranéennes

Il n’est d’ailleurs pas toujours aisé, pour le néophyte, d’appréhender combien la Méditerranée était déjà à cette époque un vaste bassin d’échanges économiques, artistiques et spirituels. Prospères grâce à leur sol fertile et à leurs importantes ressources minières, les douze cités-États étrusques exportaient ainsi sur tout le pourtour méditerranéen leurs produits (vin, huile, sel, amphores, récipients en céramique noire baptisée bucchero nero) et égrenaient leurs comptoirs (emporia) de la ville d’Antibes, au Nord, jusqu’à l’embouchure du Tibre, au Sud. Parallèlement, les riches aristocrates étrusques raffolaient de vases grecs (les archéologues en ont découvert à foison dans leurs tombes), de colliers et d’amulettes « à l’égyptienne », de flacons à onguent fabriqués à Rhodes ou en Crète, ou même de patères en argent phénico-chypriotes. Comme le résume avec humour le chercheur Vincent Jolivet (qui a participé au comité scientifique de l’exposition) : « On trouvait de tout sur la table étrusque ! »

Et c’est précisément tout l’intérêt de cette foisonnante exposition que de tenter de cerner les contours de « l’identité étrusque » au sein de cette mosaïque bigarrée d’esthétiques et d’objets. Car le génie de ce peuple rustique et raffiné tout à la fois résidait peut-être dans cette extraordinaire capacité à tout absorber pour mieux réinventer. Il suffit pour s’en convaincre de comparer le visage idéal d’une koré (jeune fille) grecque ciselé dans le marbre avec cette tête féminine en terre cuite provenant d’un temple étrusque du VIe siècle avant notre ère : si le premier parle le langage idéal des dieux, le second respire la sensualité et la vie. Des urnes cinéraires en forme de cabane d’époque villanovienne (milieu du IXe-début du VIIIe siècle avant notre ère) aux vases canopes anthropomorphes de Chiusi d’une présence sidérante (leurs prunelles incrustées d’ivoire ou d’os accentuent encore leur effet théâtral), l’on devine ainsi l’âme d’un peuple oscillant entre angoisses métaphysiques et pragmatisme terrien. Pour résumer, là où les Grecs immortalisaient dans le marbre Pégase, le fier destrier du héros Persée, les Étrusques modelaient dans l’argile les célèbres Chevaux de Tarquinia (hélas absents de l’exposition en raison de leur fragilité) en les dotant d’un harnachement des plus réalistes !

Sous les traits de la caricature

Il nous manque, hélas, les témoignages d’écrivains étrusques pour nuancer notre propos. Victimes de la propagande des auteurs romains qui n’auront de cesse de les caricaturer, les habitants des opulentes cités de Cerveteri, de Véies ou de Vulci passaient en effet pour de grossiers personnages, esclaves de leur ventre et de leurs pulsions érotiques. Diodore de Sicile nous apprend ainsi que les Étrusques se faisaient dresser deux fois par jour une table somptueuse,     préparer des couvre-lits brodés de fleurs, disposer différentes formes de vaisselle d’argent, et s’entouraient d’un essaim d’esclaves portant des vêtements très coûteux. Aristote force davantage encore le trait. « Leurs femmes se livrent au premier venu, boivent à la santé de qui leur plaît et sont, en outre, de grandes buveuses », stigmatise le grand philosophe. Certes, les Grecs furent particulièrement choqués par la place prépondérante et le rôle actif que jouaient les riches aristocrates étrusques auprès de leur époux. Un détail ne trompe pas : contrairement aux femmes grecques confinées dans leur gynécée, elles assistaient à ces rituels sociaux et religieux tout à la fois qu’étaient le banquet et le symposion. Certes, l’on y buvait de ce vin délicieux coupé d’eau, mélangé à des épices et du fromage râpé (!), mais l’on y conversait, chantait et dansait aussi. Les Étrusques n’en sacrifieront pas moins à une coutume héritée de Grèce et d’Orient : ils troqueront leur sage position assise contre l’usage de festoyer allongé sur de moelleux coussins ! Parmi cette kyrielle d’artefacts et de traditions copiés ou empruntés à leurs puissants voisins, il est cependant des créations qu’on ne saurait attribuer qu’aux Étrusques. La plupart anonymes, leurs artistes nous ont ainsi légué les plus belles représentations de l’amour conjugal : mari et femme traversent l’Éternité, tendrement enlacés sur la cuve d’un sarcophage ou la fresque d’une tombe… Quant à leurs productions en terre cuite, elles distillent une fausse naïveté et un art de vivre tout à fait savoureux. L’on pense ainsi à cet extraordinaire personnage barbu coiffé d’un curieux chapeau de cow-boy découvert, avec plusieurs autres statues semblables, dans une résidence seigneuriale située à Murlo, à 25 km au sud de Sienne. Doit-on voir en lui l’un de ces fiers aristocrates, ou bien plutôt la figure d’un ancêtre censé protéger son illustre famille ? La question n’est guère tranchée. Tout aussi énigmatique apparaît cette extraordinaire tête en bois sur laquelle on devine quelques traces infimes de feuille d’or. Comme c’est hélas trop souvent le cas pour les objets découverts en Étrurie (région particulièrement victime des pillages et des fouilles clandestines), l’on ne connaît ni sa provenance exacte ni le contexte dans lequel elle a été trouvée. Elle happe cependant le regard par sa force plastique et son caractère quasi « primitif ». Assurément, l’un des chefs-d’œuvre de cette magistrale exposition.

Étrusques, un hymne à la vie

Jusqu’au 9 février 2014, Musée Maillol, Fondation Dina Vierny, 59-61 rue de Grenelle, 75007 Paris. Tel 01 42 22 59 58. Tlj 10h30-19h. Lundi et vendredi, jusqu’à 21h30. Catalogue coédité par le Musée Maillol-Fondation Dina Vierny et les Éditions Gallimard, 256 pages, 39 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°398 du 4 octobre 2013, avec le titre suivant : La dolce vita étrusque

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