Nombre de théâtres, centres d’art, musées… comptent sur les typographes pour défendre leur appartenance culturelle et commencer à raconter à leur public «Â un début d’histoire ».
1. 2014, L’ année du graphisme
Le Centre national des arts plastiques (Cnap) édite, chaque année, une passionnante revue sur le graphisme hexagonal baptisée Graphisme en France qui fête, en 2014, ses vingt ans. À cette occasion, le Cnap organise une grande manifestation intitulée « Graphisme en France 2014 », qui « réunira l’ensemble des acteurs de la scène française du graphisme contemporain pour en montrer la créativité, la diversité et la vitalité », à travers notamment le premier Salon graphique, en mai, ou un colloque international, en novembre. D’ores et déjà, deux initiatives marquent le coup avec force. D’un côté, le lancement d’une commande publique pour la création d’une police de caractères qui sera proposée, fin décembre, en libre utilisation, donc téléchargeable par tout un chacun gratuitement. De l’autre, et surtout, l’entrée, fin 2013, dans les collections du Fonds national d’art contemporain de deux polices de caractères : le Camille de Malou Verlomme (2010-2012) et le Panorama de Jean-Baptiste Levée (2003-2013). Il s’agit là des deux premières typographies à intégrer le Fnac.
www.graphismeenfrance.fr
2. Stefan Sagmeister, l’homme de lettres
On a un peu tendance à l’oublier, mais le graphiste autrichien Stefan Sagmeister demeure également un typographe. Cet « homme de lettres » en a dessiné de nombreuses statiques, avant de les faire se mouvoir dans des films souvent hilarants. Sagmeister dessine beaucoup à la main, d’ailleurs tous les cartels et les textes de son exposition actuelle à la Gaîté lyrique, à Paris, sont de sa « patte », à même les cimaises. Le graphiste ne comprend toujours pas pourquoi tant de créateurs restent encore fascinés par ce Bauhaus qu’il abhorre : « Dans les années 1920, je peux comprendre que des gens aient été fascinés par la machine, histoire de se débarrasser du legs des courants historicistes. En revanche, en 2013, cent ans plus tard, que des entreprises arborent des identités visuelles qui ont l’air d’avoir été faites par une machine alors qu’elles ont été conçues par des graphistes n’a plus beaucoup de sens, tranche Sagmeister […]. Il faut rendre son travail plus personnel, apporter sa propre subjectivité. » Et l’homme sait de quoi il parle. Pour un album de Lou Reed (Set the Twilight Reeling, 1996), il dessine tous les titres à la main sur une photographie en noir et blanc du visage du musicien, comme des calligraphies tatouées. Pour une conférence de l’American Institute of Graphic Arts, à Detroit, il met en avant « l’évidence physique du créateur » et conçoit une affiche arborant une photographie de son propre torse sur lequel les mots ont été gravés à la lame de rasoir. Typographie « charnelle » et dérangeante à souhait, mais… efficace.
« The Happy Show », jusqu’au 9 mars , Gaîté lyrique, 3 bis, rue Papin, Paris-3e, www.gaité-lyrique.net
3. Jean-Baptiste Levée, Créateur de caractères
Le typographe Jean-Baptiste Levée, 32 ans, s’est formé à l’école Estienne, à Paris, et a ouvert son agence en 2005. Son système de caractères Panorama fignolé pendant une décennie (2003-2013), vient d’être acquis par le Cnap pour entrer dans la collection du Fnac. S’il a raté le concours pour dessiner une typographie à l’occasion de la réouverture du Musée Picasso, Jean-Baptiste Levée a en revanche dessiné, pour la Réunion des musées nationaux, la famille de caractères Constellation, qu’on a pu lire sur l’affiche de l’exposition « Bohèmes », présentée fin 2012 au Grand Palais. « Il existe une différence entre une typographie pour un panneau d’autoroute et une typographie pour une affiche d’exposition, estime Jean-Baptiste Levée : la première doit impérativement avoir une fonction utile, tandis que la seconde doit au contraire esquisser le début d’une histoire pour les gens qui passent devant. Elle ne doit pas raconter toute l’histoire, juste l’amorcer et laisser les gens imaginer la suite. » Pour Constellation, le dessinateur de caractères s’est inspiré de « la voûte étoilée ». Les lettres sont constituées d’une suite de cercles comme des planètes, dont juste les diamètres varient. Sur les affiches, ces caractères très évanescents utilisés pour les titres se marient, en fait, à merveille avec une seconde typographie, plus géométrique, l’Avenir, d’Adrien Frutiger, laquelle sert à diffuser des informations plus pratiques.
4. Philippe Apeloig, tête d’affiche
Ceux qui, en 2010, sont « tombés » nez à nez avec l’affiche de l’exposition Yves Saint Laurent, au Petit Palais, à Paris, ne peuvent l’oublier. Pour baptiser celui que tout le monde appelait « Monsieur Saint Laurent », il a, au contraire, joué avec le logo YSL de Cassandre, datant de 1961, et fait ressortir en lettres blanches sur un fond foncé le prénom du couturier, « Yves ». Philippe Apeloig joue à merveille avec la typographie, et l’exposition monographique que lui consacre aujourd’hui le Musée des arts décoratifs, à Paris, en témoigne, en particulier avec son travail pour les institutions culturelles, comme le Frac Bourgogne, les Musées d’Orsay et des monuments français, les théâtres du Beauvaisis et de Toulouse, sans oublier celui du Châtelet, à Paris. Pour ce dernier et pour l’affiche de l’opéra-ballet Padmâvatî d’Albert Roussel, produit en 2008, Apeloig dessine une affiche sur laquelle les lettres de chaque mot sont reliées entre elles comme le système d’écriture indien devanagari. Rien qu’à la lecture, on est déjà transporté.
« Typorama », Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, Paris-1er, lesartsdecoratifs.fr
5. Ruedi Baur, sculpteur de police
Nombre de graphistes savent le champ d’exploration culturel formidable, en particulier côté institutions muséales. Le Musée Rodin, à Paris, a ainsi récemment fait appel à l’agence Intégral Ruedi Baur (IRB, Paris) pour revoir son identité visuelle, rebaptisée d’ailleurs par ladite agence « langage visuel » pour « différencier clairement les institutions culturelles publiques des systèmes d’identification du secteur marchand ». À partir de l’Irma, caractère jadis dessiné par un typographe externe (Peter Bilak), un graphiste d’IRB, Hiroyuki Tsukamoto, a mis au point une « police sculptée », famille de caractères qui permet de dénuder progressivement la lettre et de l’extraire de la forme qui l’entoure. « Nous sommes partis de ce “style’’ cher à Rodin, le “non finito’’, où l’on voit une forme émerger d’un bloc de matière, comme si celle-ci était restée inachevée », explique Chantal Grossen, qui a suivi le projet chez IRB. La lettre passe ainsi d’une forme non finie à une forme finie. » Chaque caractère, très simple et très géométrique, contraste avec le volume brut situé en fond d’où il paraît ainsi émerger, à la manière d’une sculpture de Rodin. L’agence IRB œuvre actuellement pour la première charte graphique de l’identité visuelle du futur Musée des confluences à Lyon, dont l’ouverture est programmée pour novembre 2014.
www.musee-rodin.fr et www.irb-paris.eu
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La Culture du caractère
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°665 du 1 février 2014, avec le titre suivant : La Culture du caractère