De John Chamberlain à Markus Raetz, une mise en lumière des liens entre sculpture et photographie, en écho au travail photographique de Rodin.
PARIS - Voilà bien l’une des belles surprises de l’exposition : quoique connue, la pratique photographique de John Chamberlain, dont même la rétrospective que lui consacra en 2012 le Guggenheim Museum de New York fit peu de cas, demeure relativement discrète. Elle ne manque pourtant pas d’intérêt, ainsi que le démontrent les tirages présentés au Musée Rodin, à Paris. Le regard s’y perd dans des déformations exacerbées par des masses chromatiques percutantes et dynamiques, qui semblent en mouvement. C’est en 1977 que l’artiste commença à prendre des photos de ses sculptures à l’aide d’un appareil panoramique à objectif tournant, sans regarder dans le viseur et en bougeant le bras, laissant donc le hasard opérer afin d’accentuer distorsions et dissolution de l’objet, de même qu’une certaine imbrication des couleurs. Quelques sculptures sont installées non loin, et notamment, accroché au mur, un magnifique Creeley’s Lookout datant de 1979, une époque où Chamberlain joue encore d’un rapprochement habile entre sculpture et peinture abstraite. Elles achèvent de convaincre de la proximité entre les deux pratiques, pas seulement relativement à une abstraction visuelle mais aussi dans cette manière de traiter l’espace du volume et de l’image, bien au-delà de la seule question du motif.
Diversité d'approches
À travers les œuvres de huit artistes – parmi lesquels Giuseppe Penone, Dieter Appelt ou Markus Raetz – que rien dans leur travail ni leurs origines ne relie, l’exposition « Entre sculpture et photographie » s’intéresse à la manière dont ces deux pratiques trouvent à s’entendre, à s’entremêler, la photographie intervenant à des degrés divers dans le champ de la sculpture.
La démonstration prend appui sur le land art, à l’époque où la photo joue un rôle essentiel d’enregistrement et de documentation d’œuvres pour lesquelles le caractère pérenne n’est pas une donnée première, et qui prennent place souvent dans des lieux difficiles d’accès. En s’ouvrant sur la figure de Richard Long, l'exposition donne à voir une belle sculpture au sol, un cercle composé de pierres (Small Alpine Circle, 1998), mais aussi quelques-unes de ses célèbres images en noir et blanc d’œuvres réalisées à l’aide de matériaux trouvés au cours de ses marches dans la nature. Le statut de ces photos a toujours dépassé, pour l’artiste, le strictement documentaire : il s’agissait ici de redonner vie au volume.
Soutenue par une scénographie à la fois claire et dynamique, qui offre à chaque artiste un espace spécifique sans pour autant cloisonner son œuvre, l’exposition, c’est son intérêt, joue sur une grande diversité d’approches. Pertinente est ainsi la confrontation d’un fragment de façade extrait par Gordon Matta-Clark (Sauna Cut I, 1971) et de quelques images de découpes effectuées dans des immeubles à l’abandon afin de révéler de nouvelles perspectives : une dualité positif/négatif que répercutent certaines photographies elles-mêmes découpées et recollées. Dans un tout autre registre, la salle consacrée à Mac Adams est singulière, les deux pratiques ne se rencontrant pas sur la forme mais sur le fond. Elles entretiennent en effet une conversation qui prend langue dans le caractère énigmatique distillé par les œuvres de l’artiste américain, mais aussi dans l’idée de construction d’un récit.
Le parallèle n’apparaît cependant pas judicieux pour tout le monde, et en particulier pour Cy Twombly. Certes l’artiste s’est adonné concomitamment à la photo et à la sculpture, mais rien dans la juxtaposition des pièces ici exposées ne relève du dialogue, de la connivence ni de la correspondance, hormis peut-être dans leur rapport à la nature. Si la photographie de Twombly, sans doute pas la part la plus percutante de son œuvre, devait trouver à se rapprocher de quelque chose, ce serait plutôt de la peinture, avec laquelle elle partage quelque chose de la chromie et de l’écriture d’une certaine (in)temporalité.
Commissariat : Michel Frizot, historien de la photographie ; Hélène Pinet, responsable de la photographie au Musée Rodin
Nombre d’artistes : 8
Nombre d’œuvres : 69
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À la croisée des pratiques
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 17 juillet, Musée Rodin, 79, rue de Varenne, 75007 Paris, tél. 01 44 18 61 10, www.musee-rodin.fr, tlj sauf lundi 10h-17h45, le mercredi 10h-20h45, entrée 10 €. Catalogue coéd. Musée Rodin/5 Continents, 144 p., 39 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°457 du 13 mai 2016, avec le titre suivant : À la croisée des pratiques