Sinon par leur quantité, du moins par leur qualité, certaines collections privées ont une allure muséale. C’est bien le cas de la collection d’art moderne réunie par Jacques et Natasha Gelman, présentée pour la première et dernière fois en Europe à la Fondation Pierre Gianadda.
MARTIGNY - L’exposition de la collection Jacques et Natasha Gelman, qui se tient jusqu’au 1er novembre à la Fondation Pierre Gianadda, est sans aucun doute la meilleure preuve que les chefs-d’œuvre modernes ne sont pas encore tous confinés dans les musées, quand bien même celle-ci, élaborée en partie avec les conseils bienveillants de William S.
Lieberman, conservateur au Metropolitan Museum, pourrait, dans quelque temps, rejoindre définitivement les cimaises du plus grand musée du monde. Sous un titre aussi flatteur qu’inexact, "De Matisse à Picasso", elle réunit en réalité plus de quatre-vingt peintures et dessins, d’Edgar Degas à François Rouan, d’Édouard Vuillard à Francis Bacon.
Une passion méthodique
Citoyen mexicain d’adoption, vivant entre New York et Mexico où il était producteur de cinéma, Jacques Gelman, né à Saint-Pétersbourg en 1912, épousa Natasha en 1941. Ils partagèrent quarante ans durant, jusqu’à la disparition de Jacques en 1986, une même passion pour la peinture, qui les conduisit aux quatre coins du monde à la recherche d’œuvres longtemps désirées. Ils constituèrent trois collections : l’une de peinture mexicaine moderne, une deuxième de sculptures précolombiennes, enfin celle de peintures modernes exposée à Martigny.
À considérer l’ensemble constitué par ces dernières, on comprend que le goût le plus sûr et la passion la plus dévorante peuvent heureusement se doubler d’un sens rigoureux de la méthode. Aucune part ne semble laissée au hasard, ni même au coup de foudre irraisonné dans ces choix, opérés avec une extraordinaire sagesse. Certaines collections sont entièrement élaborées d’après la mode et la rumeur : celle-ci est, du premier au dernier tableau, le fruit d’un exercice du regard manifestement scrupuleux et amoureux.
Les témoignages des proches, publiés dans le catalogue, qui relatent les circonstances de telle ou telle acquisition, confirment le sentiment de cohérence que ne manquera pas d’éprouver le visiteur. Un certain intimisme, inauguré et symbolisé par Bonnard, indiscrètement perpétué par Balthus, prévaut tout au long, y compris dans les œuvres fauves de Matisse, Vlaminck ou Derain.
Les écarts par rapport à cette tendance ne sont pas rares (en particulier le provocant Homme à la sucette de Picasso, l’incongru tableau de Dali ou encore les Georges Rouault) mais ne l’infirment pas. L’art de collectionner mis en œuvre par les Gelman est l’un des aspects les plus touchants de cette exposition.
Fondation Pierre Gianadda, jusqu’au 1er novembre. Catalogue de William S. Lieberman et Sabine Rewald, avec notamment des contributions de John Golding, Pierre Schneider et Gary Tinterow.
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La collection d’une vie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : La collection d’une vie