Fermé jusqu’en 1999 pour une rénovation complète, le Musée Guimet vient de recevoir une donation exceptionnelle de huit peintures chinoises allant de la dynastie Song à l’époque contemporaine, qui étaient convoitées par des musées américains. Deux rouleaux sont les premières œuvres modernes à entrer dans les collections de ce musée d’art asiatique qui, comme ses confrères étrangers, élargit son champ historique. Qui est le généreux donateur ? Un étonnant artiste de Hong Kong, Yonfan, qui avait déjà donné des œuvres à la Sackler Gallery de Washington. Cet éminent “lettré”? est un célèbre photographe de mode et portraitiste. Il a également réalisé huit films. Après des longs métrages romantiques, le dernier, Bugis Street, plonge le spectateur dans le quartier des travestis de Singapour. Le prochain traitera des gigolos de Hong Kong, le suivant des lesbiennes de Taiwan… Âgé de 51 ans, fumant des Gitanes sans filtre, il nous a expliqué, avant de se rendre à l’Élysée pour recevoir les insignes de la Légion d’honneur des mains de Jacques Chirac, comment il a rassemblé sa collection et pourquoi il a choisi la France pour cette donation.
Quand avez-vous commencé votre collection ?
À l’âge de 21 ans. Comme beaucoup d’autres, j’ai d’abord acheté des peintures chinoises, agréables à l’œil. Puis, lors de mes études en Grande-Bretagne et en France, j’ai eu la chance de rencontrer des artistes comme Henry Moore, David Hockney, Erté… Ils ont réalisé des œuvres pour moi, qui restent des souvenirs. Mais lorsque je suis revenu à Hong Kong, en 1974, j’ai eu beaucoup plus d’attirance pour ma propre culture et, au fur et à mesure, mon goût s’est affirmé. Je me suis mis à collectionner sérieusement la peinture chinoise. À l’âge de vingt-cinq ans, j’ai vendu certaines pièces pour en acquérir d’autres, j’en ai échangé. J’ai aujourd’hui une petite collection de 80 ou 90 peintures, anciennes et modernes. J’aime rencontrer les artistes, connaître leur mode de vie. Même s’il s’agit d’un peintre de la dynastie Ming, comme Wen Zhengming. Une relation personnelle s’est établie lorsque j’ai acheté un rouleau. Je l’ai étudié, j’ai appris dans quelles circonstances et comment il l’avait réalisé, en dix ans ! Alors qu’il aurait pu l’achever en dix jours. Ces dix années scellent une relation, une amitié entre l’artiste et le collectionneur.
Vous êtes donc passé de l’art contemporain occidental à la peinture chinoise traditionnelle ?
Oui, et je connais d’autres collectionneurs qui ont eu la même démarche. Lorsque j’ai réorienté ma collection, les œuvres anciennes n’étaient pas aussi chères que les contemporaines, l’authentification restant toujours un problème. Un expert certifie une peinture comme authentique, un autre comme seulement “attribuée à” ou dans “le style de”. Cela a toujours été un problème pour l’art ancien, et particulièrement pour celui de la Chine. Même si certaines œuvres sont précisément répertoriées, d’autres experts ont un avis différent. Donc, vous ne pouvez pas collectionner les peintures chinoises comme des peintures ordinaires, il faut vraiment les aimer.
Votre collection a été largement influencée par le peintre Zhang Daijian (1899-1983).
J’ai une profonde admiration pour lui. Il était non seulement un maître du XXe siècle qui a parfaitement assimilé toutes les écoles chinoises, mais également un grand collectionneur de peintures anciennes. On l’a parfois qualifié de “super-marchand”, parce qu’il les achetait, les étudiait, les copiait, les revendait… J’ai eu la chance de le connaître, et j’ai bâti ma collection largement autour de sa vie. Je lui ai acheté des œuvres, j’en ai acquis ensuite auprès de sa veuve, en vente publique… J’ai acheté des œuvres de ses maîtres.
Votre collection vous inspire-t-elle dans votre travail de réalisateur ou de photographe ?
Pas directement. Mais elle influence beaucoup ma façon de penser, mon comportement. Beaucoup de personnes croient que si l’on collectionne de l’art ancien, on est démodé. C’est faux, je me considère comme très moderne.
Un collectionneur occidental vit avec ses tableaux accrochés au mur. Une autre relation s’établit avec l’art chinois, puisqu’il s’agit de rouleaux qu’on ne peut exposer en permanence.
C’est vrai, c’est la grande différence de la peinture chinoise. Si vous rencontrez une personne pour laquelle vous avez une profonde estime et pensez qu’elle appréciera réellement une œuvre, après du thé ou quelques verres de vin, vous déroulez cette peinture et l’accrochez. Cela n’a rien à voir avec un salon où il y a le plus possible de tableaux au mur. L’art chinois est beaucoup plus subtil, plus intime. Vous savez que vous possédez une œuvre qui vous apporte un plaisir spirituel, mais vous ne l’affichez pas en permanence pour justifier un achat de plusieurs millions de dollars. Vous la partagez seulement avec ceux qui l’apprécient.
Est-il important pour vous de posséder une œuvre d’art ?
Posséder n’est pas forcément la meilleure attitude. Au début, je voulais posséder, maintenant je veux partager car je constate que la vie a été très généreuse avec moi, d’où cette donation. Quand j’ai acquis La Dame de la rivière Xiang, je me disais que je pourrais toujours la revendre à un très bon prix si j’avais brusquement besoin d’argent. Mais j’ai toujours espéré qu’elle rejoindrait un musée. Ainsi, quand j’ai appris la mort tragique de la princesse Diana, j’ai pensé que c’était peut-être le bon moment de la donner en sa mémoire, même si je ne l’ai jamais rencontrée.
Pourquoi avoir choisi la France ?
Des amis m’avaient conseillé des musées chinois. Mais, pour moi, il est plus important que ces peintures soient hors de Chine afin qu’elles soient exposées à d’autres regards. La finalité de l’art est d’ouvrir les yeux, de faire évoluer la pensée. Par ailleurs, mon travail a été en grande partie influencé par la culture française. Il était peut-être temps que je vous remercie pour ce que votre culture m’a apporté.
Un conte de fées
Un jour à Hong Kong, Philippe Koutouzis, agent d’artistes établi en Asie, annonce à Jean-Paul Desroches, conservateur au Musée Guimet, qu’il connaît un collectionneur, Yonfan, prêt à faire une donation et que celle-ci pourrait être une aubaine pour le musée parisien. Philippe Koutouzis vient présenter des photographies de la collection à Paris. À leur vue, Jean-François Jarrige, directeur du Musée Guimet, et Jacques Giès, conservateur spécialiste de peinture chinoise, réalisent l’importance de la collection. En juillet, ils se rendent spécialement à Hong Kong. Durant toute une après-midi, Yonfan leur montre une quarantaine d’œuvres. “Il nous a laissé choisir, il n’a pas voulu nous influencer, raconte Jacques Giès. C’est un geste d’une grandeur inattendue. Nous avons retenu quatre peintures, tout en faisant l’éloge de trois autres… Il nous a alors proposé de les donner également. Puis, après la mort de la princesse Diana, il y a ajouté La Dame de la rivière Xiang, une des œuvres les plus célèbres de Zhang Daijian. Avec cette donation, qui représente les goûts d’un collectionneur de Hong Kong, un esprit neuf souffle sur le musée”?. L’ensemble comporte cinq paysages, parmi lesquels citons un anonyme, mythique, de la dynastie des Song et trois œuvres rares de l’époque Ming (un magnifique Wen Zhengming où l’on retrouve le “luminisme”? de l’artiste, un Chen Chun, élève du premier – première œuvre de cet artiste à entrer dans les collections de Guimet –, un Tang Yin, peintre très complexe). Guimet s’enrichit également d’une calligraphie de Wen Zhengming, d’une légèreté et d’une puissance exceptionnelle, ainsi que d’une autre œuvre moderne de Zhang Daijian, Lotus, une encre sur papier. Le “grand”? Guimet aura une galerie dévolue à la peinture chinoise, qui devrait porter le nom de Yonfan Man-shih.
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La Chine annonce le grand Guimet
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°45 du 10 octobre 1997, avec le titre suivant : La Chine annonce le grand Guimet