Le Frac Lorraine se penche sur la symbolique des cartes géographiques appréhendée par une vingtaine d’artistes... et un cartographe.
METZ - Promesse, Confusion, Inattendue, Désappointement, Inexpressible, Désolation… L’expression d’idées noires dans un esprit sombre ? Nullement, mais des noms d’île qui existent réellement, aux confins du monde. David Renaud les a baptisées, l’une après l’autre, indiquant aussi leurs coordonnées géographiques (Les Îles, 2014) au Fonds régional d’art contemporain de Lorraine.
Le même entretient décidément un rapport complexe, ou à tout le moins décalé, avec la géographie et surtout avec la cartographie qui lui donne forme, lorsque par exemple il s’attache à tracer à la perfection des cartes en grand format, qui sont focalisées sur un minuscule point de territoire, autrement dit du vide quand il s’agit de figurer le Désert de Danakil (2003), le Glacier du Commandant Charcot (2002) ou l’Embouchure de la Seine (1999) avec des étendues beige, blanche ou bleue.
À une époque de dématérialisation toujours plus avancée de l’outil cartographique, progressivement remplacé par les systèmes GPS et autres applications de navigation, force est de constater que l’objet intrigue toujours les artistes, qui s’en emparent avec avidité. De la vingtaine d’artistes conviés dans « Zones sensibles » – Franck Scurti, Bernard Heidsieck, Nipan Oranniwesna… –, nombreux s’ingénient à élargir les limites, à repenser les frontières, à réinventer la topographie. Car l’outil cartographique, au-delà de constituer une aide à la localisation et au déplacement, contribue aussi à se forger une vision du monde, souvent plus imaginaire que réelle. Yoko Ono ne s’y était pas trompée qui, en 1964, inscrivait cette simple sentence sur un mur, « Draw a map to get lost » (Dessiner une carte pour se perdre), invitant les spectateurs à se saisir d’une feuille de papier afin d’y dessiner un territoire de l’esprit.
Aux frontières de la réalité
Mais revue par les artistes, la cartographie ne revient pas seulement à laisser errer un imaginaire poétique, mais également à approcher la catastrophe et les soubresauts géopolitiques. En témoigne une belle œuvre de Cornelia Parker, qui a laissé choir un morceau de météorite en fusion sur des pages d’atlas figurant des villes américaines aux noms évocateurs de drames (Waco, Bagdad, Bethlehem…) qu’elle parvient parfois, si elle a visé correctement, à effacer de la carte par la brûlure (Meteorite Lands in the Middle of Nowhere, 2001).
Assez glaçante est en outre l’intervention du seul véritable cartographe présent dans cette exposition. À l’aide de lignes et masses colorées, Philippe Rekacewicz matérialise les statistiques des pertes humaines au cours des conflits couvrant deux siècles (XIXe et XXe) de manière ininterrompue, permettant ainsi de saisir immédiatement l’ampleur ou la relative « modestie » de chacun. Loin d’être seulement une abstraction, la proposition figure une crue réalité : glaçante en effet.
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La carte et le territoire
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 23 octobre, Fonds régional d’art contemporain de Lorraine, 1 bis, rue des Trinitaires, 57000 Metz, tél. 03 87 74 20 02, www.fraclorraine.org, tlj sauf lundi 14h-19h, samedi-dimanche 11h-19h, entrée libre.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°463 du 16 septembre 2016, avec le titre suivant : La carte et le territoire