Art contemporain

Klossowski, l'érotisme pour philosophie

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 31 juillet 2007 - 800 mots

Pierre Klossowski a partagé son existence entre écriture et dessin. Son œuvre s’offre à voir comme l’expression d’une inspection qui balance entre érotisme et existentialisme.

Un père peintre et historien de l’art, une mère élève de Bonnard. Difficile de dire si ceci explique cela, mais Pierre et Balthazar Klossowski de Rola, respectivement nés à Paris en 1905 et en 1908 dans une famille de lointaine origine polonaise, morts tous deux en 2001, avaient de qui tenir. Après avoir passé leurs enfance et adolescence dans un milieu d’artistes et d’écrivains, ils firent eux-mêmes œuvre de création. Si Balthazar – dit Balthus – se consacra à la peinture, Pierre Klossowski entra tout d’abord en littérature pour s’adonner par la suite quasi exclusivement au dessin.

Sa vocation suspendue
Après des études à Genève où il se frotte au protestantisme, Pierre Klossowski revient à Paris et fréquente Rilke et Gide. L’auteur de L’Immoraliste exercera sur lui une influence déterminante. Sa fréquentation fera surgir en lui un ensemble de dilemmes moraux qui le retiendront longtemps avant qu’il ne les résolve dans la réalisation d’une œuvre propre. Il assied toutefois très tôt sa réputation de plume en collaborant avec Pierre-Jean Jouve à la traduction des Poèmes de la folie de Hölderlin, publiés en 1930.
Familier des milieux de la Société de psychanalyse parisienne, Klossowski se lie avec Georges Bataille, rencontre André Breton au sein du groupe de Contre-Attaque et noue avec André Masson une vraie relation d’amitié. Au fil du temps, il publie son premier texte sur Sade, participe à la revue Acéphale dans laquelle il fait paraître un article essentiel, La Création du monde (1937), puis entreprend finalement pendant l’Occupation des études de scolastique et de théologie. Secoué par une profonde crise religieuse, il s’inscrit tout d’abord à la faculté dominicaine de Saint-Maximin, puis au séminaire de Fourvière à Lyon, et enfin à l’Institut catholique à Paris.

Revenu à la vie laïque au lendemain de la guerre, Pierre Klossowski se marie et publie un ouvrage qui fait grand bruit, Sade, mon prochain. Dès lors, il se plonge à corps perdu dans l’écriture et son premier roman, La Vocation suspendue (1950), fait la part belle à une incroyable intrication entre récit et théologie, entre action et philosophie, sans qu’il soit possible de dire lequel sert de prétexte à l’autre. Des rapports du corps et de l’âme, de la question du salut, la trilogie qu’il rédige par la suite – Roberte ce soir (1953), La Révocation de l’Édit de Nantes (1959) et Le Souffleur (1960) – voit apparaître cette figure féminine de Roberte qui habitera bientôt son œuvre dessinée.

Le dessin succède à l’écriture
Fidèle à la tradition sadienne, il invente à Roberte tout un monde de situations extrêmes selon le principe que, si le corps n’est rien et que l’âme est tout, alors tous les débordements du corps sont permis. D’où Klossowski déduit une philosophie de l’érotisme comme moyen de connaissance dont tous ses ouvrages sont porteurs. Après avoir multiplié essais, romans et traductions – du latin de Virgile à l’allemand de Nietzsche et de Walter Benjamin –, Pierre Klossowski s’engage dans le dessin pour s’y consacrer pleinement jusqu’à cesser d’écrire.

S’il lui faut attendre la fin des années 1970 avant d’être vraiment reconnu par le monde de l’art, il n’en décline pas moins une production de portraits à la mine de plomb d’une rare puissance d’expression. Les personnages qu’il met par la suite en scène dans de grandes compositions où la couleur crayonnée trouve peu à peu sa place affichent une troublante étrangeté, d’autant que leurs attitudes sont fortement ritualisées.

Volontiers érotiques, les scènes qu’invente Klossowski sont le produit mis à nu d’obsessions, de désirs et de fantasmes qu’il croise avec le mythologique, le religieux et le symbolique sans frein ni retenue.

Disparu en 2001, quelques jours après avoir fêté ses quatre-vingt-seize ans, quelques mois seulement après son frère, Pierre Klossowski laisse une œuvre écrite et dessinée marquée d’une même humaine dramaturgie. Si, plastiquement, elle avoue sa dette à des aînés comme Ingres, Chassériau ou Courbet, elle affirme surtout l’érotisme comme une possible « interprétation tout intellectuelle de l’existence » (Gérard Durozoi).

Biographie

1905 Naissance de Pierre Klossowski à Paris, d’une mère peintre et d’un père historien de l’art.

1935 Il rencontre Bataille et Masson avec qui il se lie d’amitié.

1940 - 1945 Études de théologie au séminaire de Lyon et à l’Institut catholique de Paris. Il revient à la vie laïque et se marie en 1947.
 

1950 Premier roman : La Vocation suspendue.

1967 Exposition au Cadran solaire à Paris et, par la suite, à Genève, Rome, Anvers et Mexico.

1980 Se consacre exclusivement au dessin, mine de plomb et crayons de couleur.

1981 Grand prix national des lettres.

2001 Pierre Klossowski décède à Paris, la même année que son frère Balthus.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°590 du 1 avril 2007, avec le titre suivant : Klossowski, l'érotisme pour philosophie

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