Organisée en collaboration avec la Haus der Kunst de Munich, l’exposition se déploie comme un essai dense qui vise à replacer Klee dans sa dimension de passeur entre modernité et tradition. Sous le masque de la mythologie, l’artiste révèle avec sensibilité ses craintes du présent.
ROTTERDAM - Au Klee “enfantin” dont le geste tendrait à sortir de la culture pour restaurer cet état originel fait d’apparente simplicité et de (fausse) naïveté, l’exposition conçue par Pamela Kort – qui a consacré au sujet un doctorat présenté en 1994 à Los Angeles – répond en révélant une face jusqu’à présent cachée de l’artiste. En quelque 150 œuvres couvrant l’ensemble de sa carrière, de 1901 à sa mort en 1940, elle témoigne de l’ancrage classique de la recherche du peintre.
D’emblée, Klee tourne son regard vers l’univers mythologique grec et sa théorie de divinités féminines. En symboliste, il y exalte la dimension à la fois de cruauté et de fertilité, de sensualité et de bestialité. Diane, la Sphinge, les Néréides ou les Amazones se répondent comme autant d’évocation chargées d’aspirations fin de siècle. Pourtant, le traitement s’émancipe progressivement des lieux communs pour évoquer une pulsion à la fois plus immédiate et plus dense. L’apparition de Vénus est révélatrice. Sous le crayon de Klee, la beauté se charge d’une densité qui l’inscrit résolument dans le contexte expressionniste évoquant les divinités frustes et immédiates d’un Larionov. Klee ne reproduit pas les schémas conservateurs d’une psychologie à la fois universelle et intemporelle. Il exalte au contraire l’expression immédiate qui fait du rapport au mythe le lieu d’une découverte de soi. La figure masculine favorise cette transformation de la forme en écriture grotesque et caricaturale d’abord, lyrique et poétique par la suite. Des évocations tragi-comiques de Zeus, de Mars ou d’Orphée, le spectateur évolue vers des figures démoniaques qui se démembrent dans les flux de la couleur pure vers 1910-1920 avant de se recomposer en sombre écriture prémonitoire avec les années trente.
Vers Twombly et Basquiat
Ce n’est pas un hasard dès lors si le dessin est aussi présent. Pour Klee, la ligne est récit. Elle s’ouvre à un imaginaire que la couleur investit ensuite en une succession de mouvements qui jouent de la matière, de la résistance du support, de la sensation et de l’instant. Ancré dans le mythe, le trait trouve dans l’encre sa qualité de récit. Au fil de l’exposition, animiste et forte, Klee se révèle comme un “passeur”. Son rapport à l’antique se dégage de l’histoire pour exalter l’appropriation subjective de ce pan de passé qui constitue l’homme moderne. Sous la référence iconographique, sous le thème qui ne tient souvent qu’au titre dont l’écriture fait partie même de l’œuvre, le peintre se révèle. L’allusion fait référence et creuse l’identité qui se cherche. Klee ouvre aussi bien la voie à un Twombly par la frénésie d’un geste libre qu’à un Basquiat par ces formes emblématiques qui, au-delà du mythe, interrogent ce qui menace le présent.
- PAUL KLEE ET LE MASQUE DE LA MYTHOLOGIE, jusqu’au 21 mai, Museum Boijmans Van Beuningen, Museumpark 18-20, Rotterdam, tél. 31 10 441 94 00, tlj sauf lundi 10h-17h, dimanche et jf 11h-17h. Catalogue (en allemand et en anglais) 59,50 FL.
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Klee, le « passeur »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°101 du 17 mars 2000, avec le titre suivant : Klee, le « passeur »