Le Guggenheim Museum rend hommage à l’artiste disparu en juillet dernier, dont l’œuvre minimaliste et répétitive est desservie par le format exhaustif de la rétrospective.
NEW YORK - Rarement une œuvre d’art n’aura si peu versé dans la variation ou le spectaculaire, demeurant à l’inverse linéaire et presque silencieuse. Rarement non plus une œuvre d’art n’aura entretenu pendant si longtemps – près de cinquante ans en l’occurrence – une seule et même obsession, ici relative à la temporalité et aux positionnements dans l’espace qui configurent une vie. Rarement une œuvre d’art aura, enfin, avec une telle constance, bâti sa réalité même avec si peu de préoccupations esthétiques en apparence.
Prenant place dans l’intégralité de sa spirale, la rétrospective que consacre le Guggenheim Museum à On Kawara (1933-2014), à New York, dresse un inventaire complet des différentes séries de travaux auxquelles s’est attelé l’artiste américain d’origine japonaise depuis 1966, omettant ainsi les travaux de jeunesse au Japon dans les années 1950 ainsi que ses dessins d’obédience surréaliste produits à Paris au début des années 1960, avant qu’il ne se fixe à New York.
Un petit dessin (du letraset sur papier) de 1963 mentionnant le mot « something » dans un cadre tracé au crayon (Nothing, Something, Everything) ainsi qu’un triptyque monochrome (Title, 1965), dont chaque toile porte une inscription (One thing/1965/Viet-Nam), donnent le ton de ce que sera dès 1966 la forme la plus connue de son vocabulaire : les célèbres « Date paintings » porteuses du jour de leur exécution, véritables relevés des inexorables changements temporels parfaitement situés dans leur époque, puisque toujours accompagnés d’une boîte dans laquelle figure un extrait du journal du jour. Parfois les formats varient (ils sont au nombre de huit), de même que les couleurs (on en compte trois différentes).
Concept radical et procédé répétitif
Les œuvres sagement ordonnancées sont présentées par groupes. Certaines sont très connues, telles les cartes postales envoyées à des proches et connaissances seulement porteuses de l’heure à laquelle l’artiste s’est réveillé (I Got Up, 1968-1979), ou les télégrammes mentionnant qu’il est toujours en vie (I Am Still Alive, 1970-2000), comme en réponse à deux autres de 1969 non dénués d’humour mentionnant « I am not going to commit suicide, don’t worry » (en français, « Je ne vais pas me suicider, ne vous inquiétez pas ») ! D’autres sont de véritables surprises. Ainsi les Codes (1965-2011) sur des feuilles de papier, documents cryptés composés de petits traits de couleurs, de nombres sans fin écrits en lettres ou de caractères en braille, soit un système privé de signes et de nombres venant rappeler que le qualificatif « indéchiffrable » est peut-être celui qui caractérise le mieux le fond de la pratique autant que l’homme.
Car répondant à des logiques redoutablement maîtrisées, l’art d’On Kawara est néanmoins totalement basé sur une série de paradoxes que décrit parfaitement Daniel Buren dans un essai rédigé pour le catalogue de l’exposition : « Répétition et/ou différence, variation et/ou invariabilité, continuité et/ou discontinuité, peinture et/ou écriture, deux millions d’années et/ou une journée, s’exposer et/ou se cacher, unique et/ou multiple, présence et/ou absence, faire partie du temps et/ou être hors du temps, personnel et/ou universel… »
Reste que cette question se fait lancinante : On Kawara méritait-il une rétrospective ? Considérant la complète singularité de son travail, à travers notamment cette obsession si caractéristique de la question spatio-temporelle et la façon dont il l’a gérée sans relâche, tout au long de sa vie, la réponse ne peut être qu’un immense oui. Mais considérant la nature tant formelle que conceptuelle de son œuvre, la réponse est bien plus nuancée. L’entreprise à laquelle s’est attelée le Guggenheim Museum est des plus périlleuses, en effet, tant la répétition, qui par endroits donne la sensation de devoir être sans fin, confère parfois à l’exercice un caractère laborieux jusqu’ici jamais apparu dans la dispersion du travail. L’accumulation contredit la subtilité de la dissémination et surtout fait perdre à l’œuvre légèreté, finesse et mystère : le mystère d’une existence constamment contenue entre fausse apparition et véritable disparition.
WCommissaire : Jeffrey Weiss avec Anne Wheeler
Nombre d’œuvres : 2 550
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On Kawara en grand format
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 3 mai, Solomon R. Guggenheim Museum, 1071 Fifth Avenue, New York, États-Unis
tél. 1 212 423 3840
www.guggenheim.org
tlj sauf jeudi 10h-17h45, samedi 10h-19h45, entrée 22 $
Catalogue éd. Guggenheim, 264 p., 65 $.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : On Kawara en grand format