Intitulée “Vie privée”?, l’exposition d’Élisabeth Ballet au Carré d’art marque une étape dans le travail entamé par l’artiste au milieu des années 1980. Disposées dans une série de six salles, ses sculptures produisent,
par leur agencement et leur articulation, sur le mode de
la séquence, un imaginaire
qui contraste avec la sévérité de leurs formes. Habituel
chez l’artiste, le thème de
la barrière trouve là une résonance particulière.
NÎMES - Par son titre, emprunté à Louis Malle, l’exposition “Vie privée” d’Élisabeth Ballet au Carré d’art de Nîmes lorgne vers le cinéma. Ni théorique, ni formel, ce voisinage s’établit par une succession d’expériences. D’abord celles du récit et du découpage qui font passer le visiteur dans une enfilade de six pièces, appréhendées comme autant de plans-séquences ; ensuite celle, plus habituelle dans un musée, du visiteur. À la manière d’Emmanuelle (1988) et de son tracé sinueux, ni close, ni ouverte, l’œuvre entière d’Élisabeth Ballet se bâtit sur un équilibre précaire, qui vise à assigner un entre-deux au spectateur. Tout aussi cinéphile par son titre, Bande à part (2000-2002) se compose ainsi d’une épaisse barrière en aluminium, accolée à un muret de parpaings. La clôture, qui se donne à voir, est symbolique : trop basse pour ne pas être franchie, trop légère pour cacher quoi que soit. La sculpture attire et repousse un spectateur déconcerté par le plancher en Inox (les dalles usuelles du musée mais retournées) sur lequel elle prend pied. Plus loin, l’étrangeté se renforce avec Olympia (2000-2002), agrandissement d’épingles utilisées pour concevoir l’accrochage de l’exposition.
Les changements d’échelles sont ici fréquents, jusque dans la dernière pièce, Taille douce (2002). Du sol au plafond, la sculpture s’y répand jusqu’à devenir un environnement. Pourtant, de l’un à l’autre, des raccords estompent la discontinuité. “Le lien se fait par la marche”, explique l’artiste qui a joué avec le sol par une série de décalages, légers (le revêtement ciré par endroits), ou plus marqués, comme le sable répandu dans la salle qui accueille Contrôle 3 (1996-2002). Teinté, ce rectangle de Plexiglas toise par ses reflets autant qu’il est toisé. La distance créée par la structure est amplifiée par le sable qu’il enserre en son centre, vierge de tout pas. Sur les murs, au crayon noir, se dessine la façade d’un immeuble berlinois, celui saisi dans Schlüterstrasse (2000).
Filmée à Berlin, la vidéo au cadre fixe montre un homme nu occupé, du soir au matin, à mater l’artiste dans son atelier. Aller-retour entre intérieur et extérieur, le jeu de l’exhibitionniste voyeur trouve un écho particulier dans le travail de Ballet. Présentée dans une salle latérale, comme en annexe du discours principal, la vision s’apparente à une origine inconsciente de l’exposition. À l’autre bout, mais sur un mode comparable, une autre projection assure la contrepartie à travers un ensemble de dessins où sont reprises nombre de sculptures présentées ici ou réalisées antérieurement. L’ensemble compose un répertoire de formes en attente d’articulations. Souvent perçu comme fermé, clos, dans la droite ligne du minimalisme, le travail entamé il y a une vingtaine d’années par Élisabeth Ballet trouve dans ses à-côtés une lecture sous-jacente apte à engendrer des sentiments confus. S’il y est toujours question de la sculpture comme une barrière et l’expression d’une exclusion (La Tristesse des clous (2002), scène de bois qui repose sur un dédale fait de châssis de fenêtres fermées), son processus de construction, ses valeurs intimes et imaginaires résonnent en amont de considérations habituellement plus formelles. Wool & Water (1985-2002), série d’escaliers en carton littéralement mis en boîte, formule une image de la marche, de la transition, de l’attente et des paliers proche du sentiment généré par la proposition dans son ensemble.
- ÉLISABETH BALLET, VIE PRIVÉE, jusqu’au 21 avril, Carré d’art/Musée d’art contemporain, Place de la Maison carrée, 30031 Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, tlj sauf lundi, 10h-18h, catalogue.
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Journal intime
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°144 du 8 mars 2002, avec le titre suivant : Journal intime