Dans l’atelier new-yorkais de Jeff Koons, où cinquante assistants s’affairent chaque jour, les ordinateurs high-tech côtoient les jouets d’enfants. Un « atelier-ruche » dans lequel l’artiste nous reçoit.
D’abord commercial, puis courtier, comment êtes-vous devenu artiste ?
Jeff Koons : J’ai commencé à créer et dessiner à l’âge de trois ans, c’était une façon, pour moi, d’attirer l’attention de mon entourage. Mes parents ont toujours pris mon travail au sérieux, et m’ont permis de suivre des cours particuliers de dessin dès l’âge de sept ans.
Mon père, décorateur d’intérieur, a cultivé mon sens artistique et il m’a appris combien il était important d’être au service de son art. Ma mère, quant à elle, m’a initié à la politique. Or, dans mon travail, l’esthétique et la politique sont deux de mes plus importants outils.
À quels « ingrédients » devez-vous votre célébrité actuelle ?
Le vocabulaire que j’utilise est très vaste. Il me permet donc de communiquer avec de nombreuses personnes. Mais, pour un artiste, l’outil principal reste de se faire confiance. La technique suit.
Depuis votre irruption dans les années 1980, vous semblez n’avoir jamais connu de périodes difficiles ?
J’ai toujours été indépendant financièrement. Enfant, je faisais du porte à porte en vendant des petits objets. Une fois installé à New York, en 1977, j’ai travaillé au MoMA dans le service des abonnements aux membres, où j’étais un très bon commercial. Puis j’ai travaillé à Wall Street pendant cinq ans, en tant que courtier.
J’avais besoin de cette indépendance financière pour créer, notamment pour réaliser mes œuvres grands formats.
Quel conseil donnez-vous aux jeunes artistes ?
Tout est une question de générosité. Le monde de l’art a beaucoup évolué et s’est agrandi. Il n’est pas aussi étriqué qu’il l’était il y a plusieurs années. Il y a de la place pour tout le monde et des opportunités pour tous.
Chacun a la balle dans les mains à un moment ou un autre. Il suffit de savoir la faire rebondir.
Par rapport à l’art du XXe siècle, comment définissez-vous votre travail ?
Je me place dans la lignée des ready-mades. Mon art est un art très « pop ». Il cherche à connecter des archétypes entre eux. Je veux que mes œuvres aient une valeur sociale, et qu’elles soient en lien avec l’humanité, comme les œuvres de Duchamp. L’art n’est pas dans l’œuvre, mais dans la personne qui la regarde.
Certains critiques d’art vous considèrent comme un charlatan. Qu’en pensez-vous ?
Il y a vingt ans, j’ai lu dans la presse que mon art était amoral. Alors, je me suis demandé comment mon art pouvait être amoral… Et, j’ai été très touché par cette critique. Mais je m’en suis remis, parce que je suis très persévérant.
J’ai toujours su qu’une sorte de Bon Dieu était de mon côté. Comme je sais que mon travail est puissant parce qu’il est viscéral. C’est ce qui lui donne sa qualité.
Votre cote grimpe. Vous avez ainsi vendu Michael Jackson and Bubbles plus de 5,6 millions d’euros…
Je ne m’occupe pas de l’aspect financier de mon travail, même si je suis fier d’avoir une cote si forte. Cela veut dire que les gens croient en mon travail et qu’ils respectent mes œuvres.
Chaque pièce qui sort de cet atelier représente un travail phénoménal, qui dure parfois deux ans. Ainsi, je ne me sens jamais coupable du prix d’une œuvre parce que je sais que j’ai tout donné pour qu’elle soit parfaite.
Vous mélangez, et avec quelle facilité, des références enfantines à celles de la pornographie….
Ce n’est pas de la pornographie. Made in Heaven [des photographies érotiques de l’artiste avec son ex-femme, La Cicciolina, ndlr] abordait le thème de la masturbation dans notre société. Il s’agissait d’une métaphore de la culpabilité qui prévaut dans notre société. Je voulais faire référence au Jardin d’Eden et traiter le thème de la pénétration de façon métaphorique.
Tout est une question d’acceptation et de biologie, c’est comme montrer des fesses sur lesquelles apparaissent quelques petits boutons. L’art est transcendance, abstraction et interaction avec un moment déterminé. C’est aussi une acceptation de soi, des autres, et des images qui nous gênent.
Regrettez-vous ces photos ?
Lorsque j’ai fait ces photographies, j’étais un jeune artiste. Je ne les regrette pas du tout, mais je les ai faites lorsque mon audience n’était pas encore aussi importante. Maintenant, j’ai une responsabilité plus importante.
Pourquoi évoquez-vous autant le sexe dans votre production ?
L’instinct principal de l’homme, c’est de se reproduire. Le sexe est une part importante de notre vie et je veux toujours le représenter dans toute sa grâce.
Travaillez-vous beaucoup ?
Lorsque je ne voyage pas, je suis dans mon atelier de huit heures du matin à cinq heures de l’après-midi.
Comment fonctionne votre atelier ?
Cinquante artistes travaillent avec moi. Je reçois beaucoup de candidatures et je sélectionne généralement ceux qui ont une vision et qui savent regarder.
Ces personnes sont d’abord formées au mélange de couleurs, puis elles commencent à peindre. Je trouve les idées, je donne les directions et… elles réalisent !
De quoi êtes-vous le plus fier ?
De mes cinq enfants – âgés de 31 ans à 5 mois – et de mon premier petit-fils. Ce matin mon fils est rentré du parc avec un énorme sourire sur le visage. Voilà exactement ce qui me rend heureux.
1955 Naissance à New York, aux États-Unis. 1975 Entre à la School of the Art Institute de Chicago. 1980 Première exposition personnelle à New York, sur la Ve avenue, avec l’installation The New. 1985 La Galerie Crousel-Hussenot expose pour la première fois Jeff Koons à Paris. 1986 Il réalise Rabbit, une sculpture en acier sur le modèle d’un lapin en plastique gonflable. 2000 Termine le Balloon Dog (magenta) en acier inoxydable chromé. 2006 Les pièces de Jeff Koons acquises par François Pinault sont exposées au Palazzo Grassi
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Jeff Koons : "Mon travail est puissant parce qu’il est viscéral"
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°583 du 1 septembre 2006, avec le titre suivant : Jeff Koons : "Mon travail est puissant parce qu’il est viscéral"