Design

Double vie

Jean Nouvel, architecte de meubles

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2016 - 796 mots

Plus connu pour ses réalisations architecturales que pour son mobilier, Jean Nouvel a pourtant conçu et édité une centaine de meubles depuis 1987 mis en scène aux Arts déco.

Paris - Jean Nouvel est un adepte de la soustraction. Au sens propre, comme au sens figuré. D’ailleurs, sur les cartels de cette rétrospective que lui consacre le Musée des arts décoratifs, à Paris, intitulée « Jean Nouvel, mes meubles d’architecte, sens et essence », il a supprimé toutes les voyelles des noms des pièces exposées, ce qui en complique fatalement la lecture. Ainsi, KNP signifie « canapé », et FLNG SRFC désigne Flying Surface, patronyme d’un objet qualifié de « cadre lumineux ». Jean Nouvel, lui aussi, s’est octroyé un allégé « Jn Nvl ». « Jn Nvl » donc, architecte, entre autres, de la Philharmonie de Paris et du futur Louvre-Abou Dabi (Émirats arabes unis), dessine aussi des meubles – une centaine, en près de trois décennies –, dont il exhibe aujourd’hui une large sélection déployée dans la totalité des salles dévolues à la publicité. Un « retour sur les lieux du crime », comme il dit, lesdits espaces ayant été aménagés par lui en 1998.

« J’ai toujours considéré les meubles comme des petites architectures, indique Jean Nouvel. Ces meubles sont très dessinés, à la fois présents et absents. » En as de la déduction – au sens physique du terme –, il dévoile d’emblée cette gamme de mobilier de bureau intitulée Less (« Moins »), qu’il peaufine depuis une vingtaine d’années avec le fabricant italien Unifor. « Contrairement à l’architecture, un objet n’est jamais fini, rappelle-t-il. On peut le faire évoluer perpétuellement ».
Il y a notamment la table Less ou, plus exactement Lss, conçue à l’origine pour meubler les bureaux de la Fondation Cartier, à Paris, autre bâtiment emblématique signé Jean Nouvel. Elle paraît incroyablement mince, grâce à son plateau en forme d’aile d’avion : « Le dessin théorique d’une table sans épaisseur, un archétype », dixit Nouvel. Dans une vidéo, les patrons de la firme Unifor, le PDG Piero Molteni et le directeur Image Giorgio Pogliani évoquent son élaboration : « Un jour, Jean est monté sur la table, elle a résisté, il était satisfait. » L’homme est du genre perfectionniste.

Des meubles évolutifs

La table Hubert est constituée de deux rallonges qui recouvrent entièrement un premier plateau, permettant, le cas échéant, d’y dissimuler quelque dossier de faible épaisseur. Les tables gigognes 1=2 permettent, comme leur nom l’indique, d’agrandir du double la surface du plateau. « J’aime bien les meubles qui réservent quelques surprises », fait remarquer Jean Nouvel. Le nombre important de spécimens de tables – Essences, Grand Écart, Quasi-Normal, Mutante, Inox… – ici présenté montre que l’architecte semble apprécier tout particulièrement cette typologie. Le visiteur pourra même admirer son tout premier projet, dessiné en 1987 : une ingénieuse table en aluminium, baptisée PLNT, qui peut passer, en un clin d’œil, d’une position basse à une position haute. Elle a été développée dans le cadre d’une « carte blanche » du VIA (Valorisation à l’innovation dans l’ameublement), cellule recherche des industries françaises de l’ameublement.

Jean Nouvel paraît beaucoup plus à l’aise dans l’exercice de la soustraction que dans celui de l’addition. Ses meubles « minimalistes » mixant fonctionnalité sophistiquée et géométrie élémentaire sont d’une clarté absolue. Ainsi, le bien nommé Totem, parallélépipède monolithique pouvant pivoter à 360°, qui fait office de rangement. En revanche, lorsque le mobilier se lâche à quelque fantaisie, il se fait moins convaincant. C’est le cas du fameux KNP imaginé pour l’entreprise Arflex. Ce sofa constitué d’une structure en contreplaqué recouverte de coussins en caoutchouc noir et agrémentée de couvertures bariolées propose une modularité si étendue qu’elle en devient suspecte.

L’architecte a, lui aussi, cédé à cette mode muséale qui consiste à éparpiller des pièces dans des espaces autres que ceux de l’exposition. « C’est un jeu dangereux de se confronter à des chefs-d’œuvre », avait-il prédit. C’est effectivement le cas. Quelques-uns de ses meubles ont ainsi rejoint les départements du Moyen-Âge ou de la Renaissance. Le « dialogue » y est plutôt mou. Seule la Table au kilomètre, installée dans la Salle des retables, s’en sort. Elle est constituée de traverses de bois massif d’essences différentes – chêne, charme… –, minutieusement assemblées sur une longueur étonnante. On se demande comment cela tient. Personne, en réalité, ne peut se douter de la sophistication de son principe constructif, en l’occurrence, un système de précontrainte et des pièces métalliques en tension, le tout entièrement dissimulé dans la matière. Face à un tableau d’autel provenant du réfectoire de Sant’Antonio, à Ferrare (Italie), le mystère demeure.

Jean Nouvel

Commissaire général de l’exposition : Olivier Gabet, directeur des Musées des arts décoratifs.
Scénographie : Jean Nouvel.
Nombre d’œuvres : une centaine.

JEAN NOUVEL, MES MEUBLES D’ARCHITECTE, SENS ET ESSENCE

Jusqu’au 12 février 2017, au Musée des arts décoratifs, www.lesartsdecoratifs.fr, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. : 01 44 55 57 50.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°468 du 25 novembre 2016, avec le titre suivant : Jean Nouvel, architecte de meubles

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