Diverses expositions organisées ces vingt dernières années n’ont proposé qu’une vision fragmentaire de l’œuvre de Jasper Johns, mais aujourd’hui, le Museum of Modern Art de New York présente enfin l’artiste dans sa totalité. Il en ressort que Jasper Johns a créé une œuvre qui va bien au-delà de la somme de ses parties proto-Pop, minimaliste et conceptuelle, comme le confirme Kirk Varnedoe, commissaire de l’exposition.
NEW YORK - Depuis que son étoile a commencé de briller au milieu des années cinquante avec ses fameuses séries de Drapeaux et Cibles, Jasper Johns s’est imposé comme un des chefs de file des artistes américains de l’après-guerre. Andy Warhol, et peut-être Roy Lichtenstein, ont sans doute acquis une plus grande notoriété auprès du grand public, mais dans la profession, Jasper Johns suscite un respect inégalé. Pourtant, il n’a eu droit jusqu’ici qu’à deux rétrospectives d’envergure : la première au Jewish Museum en 1964, qui couvrait dix années de carrière, et l’autre au Whitney Museum de New York en 1977. Depuis, plusieurs rétrospectives de ses dessins, estampes et sculptures se sont succédé (lire encadré), mais aucune n’a embrassé l’ensemble de son œuvre tous matériaux et supports confondus. Pour la première fois, le Museum of Modern Art (MoMA) rassemble quelque 110 peintures, 86 dessins, 17 estampes et une douzaine de sculptures provenant de collections du monde entier afin d’offrir la plus large vision de la carrière de Jasper Johns à ce jour.
L’artiste vivant le plus cher
Organisée par Kirk Varnedoe, conservateur en chef au MoMA, l’exposition a pour but de corriger l’idée répandue selon laquelle l’impact historique de Jasper Johns se limiterait à ses premiers travaux. Son lexique symbolique à base d’icônes et d’objets familiers est aux origines du Pop Art et du Minimalisme, et ses investigations sémiologiques sont fondamentales dans l’émergence de l’Art conceptuel et de la déconstruction. Mais son art a régulièrement changé de direction, et cette iconographie en constante évolution a donné une nouvelle impulsion aux mots art, appropriation, Body-art, abstraction, tout en constituant une critique à la fois sociale et esthétique. Surtout, son vocabulaire pictural, avec ses fragmentations, ses superpositions, son enchevêtrement et la présence simultanée d’éléments disparates, s’est révélé riche d’enseignement pour les artistes contemporains.
Par ailleurs, la formidable carrière de Johns est indissociable du soutien apporté par Leo Castelli, représentant exclusif de l’artiste depuis près de quarante ans. Ensemble, ils ont soigneusement protégé la réputation de Johns et entretenu l’inextinguible demande pour sa production relativement rare. Ainsi, Jasper Johns détient-il toujours le record de vente pour un artiste vivant : son tableau Faux départ (1959) a atteint la somme astronomique de 17 millions de dollars chez Sotheby’s New York en novembre 1988.
JASPER JOHNS, 20 octobre-21 janvier 1997, Museum of Modern Art, 11 West 53e rue, New York, tlj sauf mercr. 11h-18h, jeudi jusqu’à 21h, tél. 212-708 94 00. Ludwig Museum, Cologne, 7 mars-1er juin 1997 ; Musée d’art contemporain de Tokyo, 28 juin-17 août 1997. Catalogue, anthologie des dessins, croquis et entretiens chez Abrams.
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Jasper Johns atteint sa cible au MoMA
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Abonnez-vous dès 1 €Trois question à Kirk Varnedoe, commissaire de l’exposition
Quelle place Jasper Johns occupe-t-il dans l’évolution de l’art du XXe siècle ?
Jasper Johns apparaît habituellement comme le personnage qui passe le relais. Il a joué le rôle magnifique de l’homme qui a terrassé le dragon Pollock/Kline/de Kooning pour ouvrir la voie à Donald Judd, Andy Warhol, Frank Stella et tous les autres. Sa mission accomplie, il a été mis à l’écart. J’ai d’ailleurs été surpris que Mark Rosenthal (conservateur du Guggenheim Museum) ne l’ait pas retenu pour sa récente exposition "L’Abstraction au XXe siècle" alors que, pendant dix ans, Johns n’a peint que des abstractions qui, après Pollock, sont certainement parmi les expressions les plus fortes du genre. Ce qui m’a poussé à monter cette exposition, c’est la conviction que la place de Jasper Johns dans l’histoire de l’art de l’après-guerre va bien au-delà de son rôle de passeur de relais entre 1955 et 1962.
Comment expliquez-vous que Jasper Johns n’ait pas fait l’objet de rétrospective pendant vingt ans ?
Honnêtement, j’ignore s’il a décliné plusieurs propositions ou si les éventuels organisateurs ont été arrêtés par la perspective d’avoir à rassembler tant d’œuvres si chères et de matériaux si divers. C’est une exposition difficile à mettre sur pied, ce qui explique qu’il n’y ait eu jusqu’à présent que des rétrospectives partielles [estampes au MoMA en 1986 ; travaux des années quatre-vingt à la Biennale de Venise en 1988, pour lesquels il a obtenu le Lion d’or de la peinture ; dessins à la National Gallery en 1990 et, en 1996, sculptures à la Menil Collection à Houston et au Henry Moore Institute de Leeds].
Les Européens ont-ils fait preuve d’autant d’intérêt pour Johns que les Américains?
Non. Dans un sens, les peintres européens ont ressenti la tradition de la "belle peinture" comme quelque chose dont ils devaient se débarrasser. Gerhard Richter, par exemple, a déclaré que la touche de Johns lui semblait trop proche de celle de Cézanne. Ils ont préféré celle de Warhol.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°29 du 1 octobre 1996, avec le titre suivant : Jasper Johns atteint sa cible au MoMA