SAINT-PAUL-DE-VENCE
Le plasticien entame un dialogue avec la religion, la science et l’art dans une démonstration ingénieuse, mais trop attendue.
Saint-Paul-de-Vence. Il fut un temps où les provocations plastiques de Jan Fabre avaient une formidable force de frappe. On se rappelle encore son exposition au Musée du Louvre, « L’Ange de la métamorphose » en 2008, où ses gisants en marbre, parsemés de punaises dorées, faisaient une irruption violente dans l’univers muséal et dialoguaient avec les primitifs flamands. Non pas que l’artiste se soit véritablement assagi. Ses performances et ses mises en scènes de spectacles surprenants, voire choquants, souvent de durée exceptionnelle, restent encore des événements remarquables.
La manifestation de la Fondation Maeght, organisée par son ancien directeur Olivier Kaeppelin, a sans doute un intérêt pour les spectateurs qui ne connaissent pas ce plasticien. Ils doivent pourtant être rares, tant Jan Fabre, pratiquement consacré artiste national de son pays natal, la Belgique, est célébré partout.
Ici, comme toujours, la scénographie – muséale – est parfaite. Les sculptures y trônent majestueusement, à commencer par le patio avec les spectaculaires pietà qui furent exposées à la Biennale de Venise en 2011. Ailleurs, ce sont encore des gisants – hommages (2011-2012) à Elizabeth Caroline Crosby, neuroanatomiste ou à Konrad Lorenz, célèbre éthologue, les deux scientifiques qui fascinent Jan Fabre. De fait, l’artiste cherche avant tout à établir un dialogue entre différentes disciplines, essentiellement entre la religion, la science et l’art. Le terme auquel il fait appel, « consilience » [une théorie de la complémentarité des savoirs, ndlr], permet selon lui à chaque domaine d’entrer en résonance avec l’autre.
Pour ce faire, l’organe qui revient le plus souvent dans sa production plastique est le cerveau, devenu quasiment la marque de reconnaissance de l’artiste depuis plusieurs années. Parfois associée aux insectes ou aux fleurs, cette matière molle mise à nu, faite de chair et recouverte de veines, est un objet intriguant et dérangeant à la fois. Dans un rapprochement étonnant, on trouve le cerveau à la base d’une crucifixion, une version moderne du crâne associé dans le passé à la croix.
Les œuvres présentées à la Fondation Maeght – comme d’ailleurs les dessins préparatoires – sont réalisées avec une habileté impressionnante qui illustre bien la visée affirmée par Fabre : « être le guerrier de la beauté ». L’ensemble est accompagné par un film dans lequel il échange avec le neurobiologiste italien Giacomo Rizzolatti sur les notions d’empathie, d’imitation ou d’intelligence. On hésite, est-ce un véritable discours scientifique ou un conte de fée ? Le message que propose Fabre semble un peu cérémonial et la place de l’ironie prétendue n’est pas toujours évidente. De même, comment, avec ces travaux d’une qualité irréprochable, faire la distinction entre classicisme et académisme, entre beau et kitsch et surtout entre variation et répétitions ? De fait, aussi impressionnante que soit cette présentation, elle sent un peu le réchauffé. À force de vouloir voir grand, on risque la grandiloquence.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°508 du 5 octobre 2018, avec le titre suivant : Jan Fabre, une vision postmoderne et académique