L’espace d’un mois, du 15 septembre au 14 octobre, Paris accueille une exposition d’un des plus grands maîtres de la peinture japonaise du XVIIIe siècle. Un événement qui ne se reproduira pas avant longtemps.
Mais qui êtes-vous Itō Jakuchū (1716-1800) dont le Petit Palais s’apprête à exposer les œuvres ?
En France, en dehors des spécialistes d’art japonais, personne ne semble avoir jamais entendu parler de cet artiste. Sa situation n’est pas plus enviable ailleurs, sauf peut-être à Washington, où le peintre a été exposé une fois en 2012. Mais elle tranche toutefois avec la folie qui entoure aujourd’hui, au Japon, ce maître du XVIIIe siècle. Dans le pays, où les expositions sont plébiscitées et où les documentaires se succèdent à la télévision, cette « jakuchumania », perceptible jusque dans les duty free d’aéroports, est relativement récente.
Cette redécouverte de Jakuchū, le Japon la doit en effet en partie à un certain Joe Price, un collectionneur américain, ancien ingénieur, tombé au hasard d’une promenade follement amoureux d’une reproduction de l’artiste. C’était au début des années 1950. Joe Price entreprit alors de faire des recherches et d’acquérir tout ce qu’il pourrait sur ce mystérieux peintre. « En 1963, au Japon, presque personne ne connaissait le nom de Jakuchū, déclarait Price en 2013. Ils connaissaient Korin et Sotatsu, mais très peu la période moyenne et tardive d’Edo », ce qui plut au collectionneur. La popularité du peintre vint alors dans un second temps, lorsque la presse et la télévision japonaise, très puissantes au Japon, se prirent à leur tour de passion pour l’artiste, soutenus par l’édition de produits dérivés reprenant les motifs décoratifs de Jakuchū dont raffolent aujourd’hui les Japonais.
Pour Manuela Moscatiello, responsable des collections japonaises au Musée Cernuschi, à Paris, et commissaire pour la partie française de l’exposition du Petit Palais, le peintre, pourtant l’un des plus grands du Japon, avait disparu des radars à la suite de la cession à la maison impériale, à la fin du XIXe siècle, par le monastère de Shokoku-ji, du Doshokusai-e, dit aussi Royaume coloré des êtres vivants. Si la vente a probablement sauvé le monastère de Kyoto de ses difficultés financières, elle a aussi enfermé derrière les murs impériaux ce chef-d’œuvre de la peinture japonaise, exécuté entre 1757 et 1766, et plongé dans l’oubli son auteur…
Ce Royaume coloré des êtres vivants, Paris a donc la chance de l’accueillir ce mois-ci dans le cadre des expositions de Japonismes 2018, soit trente rouleaux verticaux de peinture sur soie entrepris par l’artiste à l’âge de 42 ans. Cette série représente de véritables petits mondes en miniature. Dans le plus pur enseignement bouddhiste, les paysages, les fleurs, les oiseaux, les poissons et les insectes de ces rouleaux rappellent aux spectateurs que toutes les formes d’existence sont dignes de vénération.
Avec cette série, Jakuchū s’inscrit dans la pure tradition de la représentation bouddhiste – depuis le Moyen Âge, ce type de peintures encadrait la figure du bouddha Shakyamuni dans les monastères – et dans la philosophie sinisante de son ami et moine lettré Daiten, tout en s’inspirant, note Manuela Moscatiello, des compositions chinoises dites à « branches coupées » (représentation idéalisée qui consiste à isoler une fleur, une branche, sur un fond neutre). Mais ce qui caractérise la peinture de Jakuchū en général, et le Royaume coloré des êtres vivants en particulier, c’est sa capacité à innover, d’adapter les emprunts de genres ou de techniques à son style personnel, à l’instar de l’application de peinture au revers de la soie pour donner plus de puissance et d’épaisseur aux couleurs apposées sur l’endroit. Ceci confère à sa peinture un caractère unique, renforcé par le rendu naturaliste exceptionnel atteint par Jakuchū. Naturaliste ? Plutôt « sur-réaliste », pour Manuela Moscatiello, qui souligne que le peintre est allé jusqu’à peindre le pourrissement des feuillages pour mieux représenter le cycle de la vie. Cette véracité, cette précision des détails, seul Vermeer les avait déjà peintes. Comme le peintre hollandais, Jakuchū dut dépasser son art pour mieux représenter le monde, son monde. Comme lui, il dut connaître une période de purgatoire. Qu’il en sorte aujourd’hui et à jamais.
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Ito Jakuchu, le Vermeer japonais
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°715 du 1 septembre 2018, avec le titre suivant : Ito Jakuchu, le Vermeer japonais